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Numéro 17
Janvier, février, mars 2020
édition brochée, 218 illustrations et photographies, couleur, papier couché 120 g, format 19x25, 112 p.
44 €
Revue d'études des doctrines et des méthodes traditionnelles
Cahiers de l’Unité
ÉDITORIAL René Guénon
Dans la précédente livraison, un de nos collaborateurs évoquait l’ignorance considérable de la majorité du public occidental cultivé au sujet du Prophète de l’Islam. Il disait encore que ce public ne connaît sans doute pas plus Srî Râma ou Srî Krishna, mais qu’en raison de la filiation abrahamique dans laquelle s’inscrit l’Islam, à l’instar du Judaïsme et du Christianisme, et parce que cette religion régit une part importante de l’humanité depuis mille quatre cents ans, il considérait que tout Occidental devrait avoir sur son fondateur un minimum de connaissances valides. Nous souscrivons entièrement à ces remarques, mais il y a un autre domaine où règne également une véritable ignorance, et, comble du paradoxe, chez les Français eux-mêmes, c’est celui de l’histoire spirituelle de la... France !
Une croyance obscurantiste
Les causes de cette ignorance sont multiples. La première de toutes est évidemment la nature absolument lamentable de l’enseignement de l’histoire au collège et au lycée en France. Son affligeante nullité n’est toutefois que la conséquence d’une croyance obscurantiste : celle du « progrès », croyance qui est acceptée aveuglément par la mentalité moderne comme un « dogme laïque » (1). Cette idéologie nauséabonde, qui n’engendre que la déchéance (2), a commencé à se formuler nettement au XVIIIe siècle (3). C’est une suggestion toute artificielle qui, pour maintenir son emprise malfaisante, doit nécessairement occulter le passé afin de le rendre totalement in-désirable, inintelligible, inutile et au fond inexistant.
Comme le remarque Guénon, dans un temps où l’on prétend tout soumettre à la discussion, l’idée du progrès et son entretien dans la mentalité des populations «Isont les seules choses qu’on ne se permet jamais de discuter. » (4) Pour les intégristes du « progrès », il faut aller de l’avant, c’est le « go ahead ! » et autre «Imove on !I» du crétinisme américain. Le self made man des affaires s’est prolongé dans l’être auto-construit dont parle M. Olivier Rey (5). C’est tout le verbalisme creux de « la dynamique du progrès », de « la mobilité », de «Il’innovation », des « défis à relever », qui permettent de « se projeter dans l’avenir ». En réalité, ce n’est que l’extension du domaine de la marchandise, la société liquide décrite par Zigmunt Bauman (6), celle qui oblige à la soumission aux machines – jusqu’à ce que l’homme devienne une machine et la machine un homme –, à une culture du déchet où le faux dévore partout le vrai, et où le sommeil de l’intellect engendre les monstres de la raison. Pour les propagateurs de chimères, connaître le passé n’est qu’un ressassement, il doit être oublié, il n’est qu’un poids dont il faut se délivrer, et certes il l’est quand il ne s’agit plus que de cette caricature de l’histoire inventée par la modernité. C’est le nouveau triomphe de la volonté, celui que Leni Riefenstahl appelait Triumph des Willens : n’ayez pas peur, oubliez tout, ouvrez la porte, suivez le mouvement, fermez les yeux et allez de l’avant, vers... l’abîme !
Occultation, déformation et falsification
Nous avons mentionné la nécessité d’occulter l’histoire pour la mentalité moderne, le système scolaire en est le meilleur moyen, mais outre le fait qu’il n’affecte qu’une partie de la population, celle qui n’accèdera pas au niveau universitaire, l’histoire ne se laisse pas ignorer aussi facilement à quiconque. Elle resurgit régulièrement. Le passé agit toujours sur le présent puisque celui-ci en est le produit (7). Ainsi au travail d’effacement de l’histoire, s’ajoute en même temps pour une autre strate, celle des Occidentaux cultivés, la nécessité d’en circonvenir les effets en la déformant ou en la falsifiant. L’exemple du moyen âge est emblématique à cet égard. Il est certainement « invraisemblable que la légende qui fit de cette période une époque de “ténèbres”, d’ignorance et de barbarie, ait pris naissance et se soit accréditée d’elle-même, et que la véritable falsification de l’histoire à laquelle les modernes se sont livrés ait été entreprise sans aucune idée préconçue. » (8) Guénon pensait que « l’histoire vraie peut être dangereuse pour certains intérêts politiques ... consciemment ou non, on écarte a priori tout ce qui permettrait de voir clair en bien des choses, et c’est ainsi que se forme l’“opinion publique” » (9).
Pour déformer l’histoire, et empêcher d’en saisir le sens, il y a d’abord les historiens. À ce titre, l’enseignement universitaire de l’histoire et l’abondance des publications apparaissent comme une formidable machine d’étouffement de sa dimension spirituelle. Nous ne reviendrons pas ici sur le rôle des historiens qui a été déjà abordé par un de nos collaborateurs dans un numéro précédent de cette revue (10). Il ne s’agit pas d’ailleurs de jeter indistinctement l’opprobre sur cette respectable corporation, où beaucoup ne sont que des dupes, mais d’attirer l’attention sur l’instrumentalisation qui est faite de l’histoire à des fins idéologiques. Nous ne pouvons évidemment traiter de cette question ici. Pour avoir une idée de ce que nous évoquons on pourra, par exemple, consulter deux revues qui appartiennent à deux tendances opposées du spectre politique : Éléments de M. Alain de Benoist et L’Histoire de l’homme d’affaires M. Claude Perdriel.
La contre-histoire de France
Face à l’opposition forcenée à la connaissance de l’histoire de France dans sa dimension spirituelle, la seule qui compte, bien peu se sont dressés. Devant ce qui ressemble à une amputation de l’être, puisque l’homme y est séparé d’une partie de lui-même, l’étude sur la contre-histoire de la France à laquelle nous invite ici M. Benoît Gorlich est un évènement. Par contraste, beaucoup verront à quel point ils ont été victimes d’une censure subtile et d’une propagande grossière dans ce domaine. L’histoire véritable est toute différente dans ses significations de celle qui s’enseigne officiellement. Elle est également sans rapport avec l’occultisme mystificateur d’un M. Jean Robin, par exemple, dont la vraie raison d’être est de discréditer toute tentative de traiter l’histoire d’un point de vue réellement traditionnel.
En une fresque saisissante, qui constitue un tour de force, M. Gorlich fait apparaître toute la valeur symbolique des faits historiques. Ce qui met à bas les interrogations ridicules de philosophes hébétés sur le sens de l’histoire. Comme tout le reste, les faits historiques se conforment eux-aussi et nécessairement à la loi de correspondance. Ils traduisent selon leur mode les réalités supérieures, dont ils ne sont qu’une expression humaine. C’est d’ailleurs ce qui fait tout leur intérêt au point de vue traditionnel. C’est la seule méthode qui permette d’approcher ce que M. Gorlich appelle « le Mystère de la France ».
Mythe et histoire
Avec la traduction du texte de Coomaraswamy que propose M. Max Dardevet, nous restons dans le domaine de l’histoire, mais en tant qu’elle reproduit le mythe et en offre une image « humanisée ». Il établit ainsi une analogie entre le Rig-Véda et le Land-náma-bók, le « Livre de prise de possession du sol » qui relate la découverte et la colonisation de l’Islande par les Scandinaves (11). Il montre que si l’immigration des Âryas dont il est question dans le Rig-Véda est comparable en un sens au texte islandais, il doit néanmoins s’entendre non pas comme celui d’un peuple ayant envahi les vallées de l’Indus, mais comme une « prise de possession du sol » (land-náma) de manière primordiale par l’humanité, comme l’entrée des êtres « dans le temps depuis les résidences du ciel extérieur », au début, in principio. Quoiqu’il en soit de l’obscurité dont ces faits s’enveloppent, ils apparaissent comme la trace d’évènements immenses dans l’ordre spirituel et dans l’ordre humain, échappant à toute date, mais dont l’influence n’a pas cessé de se faire sentir sur le destin des peuples. Ils supposent une organisation théocratique des sociétés primordiales que l’archéologie, la linguistique et la paléogénétique sont aujourd’hui obligées d’admettre.
Dans cette première partie, Coomaraswamy développe une savante herméneutique des termes fondamentaux, mais difficiles du Rig-Véda : ârya, carsani et krsti, pañcajana, et sarasvatî. C’est peut-être l’occasion de rappeler, à la suite de Pierre Ponsoye, qu’une langue sacrée n’est pas telle par sa destination liturgique, mais par sa constitution symbolique, au sens réel du mot, qui en fait une hiérophanie, une hypostase véritable, en Lumière et en Nombre, des Idées ou Formes (είδος) et des Énergies éternelles du Verbe.
Aurobindo
M. Gorlich nous présente également la suite de son étude sur Aurobindo. Pour des questions de place, nous avons été malheureusement dans l’obligation de la scinder en plusieurs parties que nous publierons tout au long de cette année. La question du yoga d’Aurobindo nous donne l’occasion de signaler à nos lecteurs qui résident à Paris ou qui peuvent s’y rendre la tenue d’une belle exposition au musée Guimet sous le titre : Yoga. Ascètes, yogis, soufis. Ceux qui appartiennent à la Nâth sampradâya (12) ou au Soufisme seront heureux de retrouver leurs semblables à plusieurs siècles de distance.
Sophia, philosophia, philosophie
Pour clore ce numéro, M. Ibranoff nous donne maintenant à lire la suite de son étude critique sur le recueil d’articles de M. Borella consacré à René Guénon. Au-delà de la mise en évidence des égarements de M. Borella, c’est une excellente mise au point sur ce que fut le caractère traditionnel de la philosophie.
Julien Arland
Directeur littéraire
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R 12
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La Quête du Graal
dans la belle édition de M. Gauthier Pierozak disponible sur son site :
R 4 5
R 6
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R 10
citation
Pour citer cet article :
Julien Arland, « Éditorial », Cahiers de l’Unité, n° 25, janvier-février-mars, 2022 (en ligne).
© Cahiers de l’Unité, 2022
juillet-août-sept. 2024
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