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The Presence of the Prophet - HDO

The Presence of the Prophet in Early Modern and Contemporary Islam, The Prophet Between Doctrine, Literature and Arts: Historical Legacies and Their Unfolding

 

Volume I, Edited by Denis Gril, Stefan Reichmuth and Dilek Sarmis, Série HdO, 716 pages, Éditions Brill, Leyde, 2022

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Compte rendu

brill

        Signalons que le tome 1 du volume 159 de la série Handbook of Oriental Studies (HdO) publié par l’éditeur Brill vient de paraître, et qu’il est en libre accès sur l’internet dans le cadre des licences Creative Commons (1)

     C’est un volumineux ouvrage riche de vingt contributions consacrées au Prophète de l’Islam envisagé sous divers aspects. Nous avons souhaité le mentionner en raison de l’ignorance considérable dans laquelle paraît se trouver aujourd’hui la majorité du public occidental cultivé vis-à-vis de cette figure fondamentale de la spiritualité universelle. Ce public ne connaît sans doute pas plus Srî Râma ou Srî Krishna, mais l’Islam étant une forme traditionnelle de filiation abrahamique, comme le Judaïsme et le Christianisme, régissant une partie importante de l’humanité à un degré ou à un autre, et depuis plus de mille quatre cents ans, il nous semble que tout Occidental devrait avoir sur son fondateur un minimum de connaissances valides.

       D’autant que sa qualité de Sceau des Prophètes telle qu’affirmée par le Coran (XXXIII, 40), à savoir qu’il est le dernier des prophètes envoyés au genre humain, c’est-à-dire le dernier fondateur d’une religion, est historiquement et universellement attestée. En effet, tout le monde est bien obligé de reconnaître qu’aucune religion d’envergure mondiale, ayant produit sa propre civilisation, n’est survenue après lui. Bien entendu, il n’est pas nécessaire d’être musulman pour comprendre et reconnaître au Prophète de l’Islam sa dimension spirituelle de premier ordre. De même qu’il n’est pas obligatoire d’être Juif pour comprendre l’envergure spirituelle majeure de Moïse, David ou Salomon, ni d’être Chrétien pour aimer le Christ.

        Depuis le XIXe siècle, la grande erreur des modernes, mais qui n’était que le produit de l’idéologie réductionniste et anti-traditionnelle en vogue, a été de s’attacher quasi exclusivement à la personnalité historique du Prophète. Ainsi que cela avait été fait pour la figure du Christ afin de la dépouiller de toute transcendance, la recherche orientaliste a largement poursuivi l’objectif de reconstituer au plus près cet aspect historique, dans le contexte des débuts de l’Islam, avec tous les outils de la critique philologique et historique modernes (2). Malgré les apparences, cet angle de recherche est profondément indigent et particulièrement biaisé dans la mesure où il ne permet aucunement de distinguer nettement la nature du Prophète parmi toutes les figures prestigieuses de l’histoire humaine, ou considérées comme telles (3). Si le Christ a été ainsi ramené à la figure d’une sorte de révolutionnaire communiste avant la lettre, le Prophète l’a été, dans le meilleur des cas, au statut de chef politique et militaire ayant établi des normes rituelles et juridiques pour un groupe humain qui en manquait.

      Pourquoi dès lors l’Occidental cultivé, influencé par ce point de vue, aurait-il accordé une attention particulière et de l’intérêt pour cette figure apparue dans une lointaine contrée désertique, au prise avec des tribus arabes plus ou moins récalcitrantes, lesquelles, une fois convaincues, sont parties à la conquête du monde ? Pour des non-arabisants, la traduction du Coran en langues occidentales, livre énorme, peu lisible et peu compréhensible selon les critères occidentaux modernes, ne les a guère éclairés sur cette nouvelle révélation divine et son messager. D’ailleurs, les populations islamiques n’ont-elles pas été, toutes, soumises aux Occidentaux, et leurs territoires conquis et colonisés par eux ? Quant au prolétariat constitué principalement de musulmans venus par la suite d’Afrique du Nord en Europe, il ne sembla pas apporter les lumières d’une civilisation enviable ni, malgré quelques notables exceptions, un type humain toujours admirable.

       De nos jours, ce sont précisément cette ignorance, ces représentations fallacieuses des orientalistes ou le poids d’une certaine perception matérialiste et limitée de l’histoire, avec les sentiments de supériorité ou de culpabilité que cela peut induire, qui expliquent pourquoi, du moins en France, tant de sympathisants, sinon de militants, de l’« ouverture à l’Autre », du « multiculturalisme », du « vivre ensemble », de la « diversité », ou de l’« antiracisme créolisant » (4), ont été cruellement surpris par la brutalité des réactions des musulmans du monde entier devant toute atteinte à l’image du Prophète, fût-ce depuis le médiocre roman de Salmân Rushdie (5) en 1988, jusqu’aux caricatures dégradantes publiées au Danemark en 2005 et à Paris en 2006. Pour une partie des responsables ce fut la mort, on perçoit donc immédiatement le degré des enjeux en présence (6).

         À la suite du livre de Samuel Huntington, on a parlé de « choc des civilisations » (7). C’est en partie vrai dans le sens où ce qui est traditionnel s’oppose à ce qui ne l’est pas – et réciproquement –, mais c’est sans doute également en partie inexact en ce que ce n’est pas la « civilisation islamique » qu’il faudrait désigner, mais plus simplement la foi islamique en général, laquelle, comme toutes les croyances de toutes les formes traditionnelles, tend à s’opposer à l’incroyance et aux agressions de l’athéisme quand elles sont avilissantes. Cette distinction nous paraît importante dans la mesure où l’on peut se demander si la « civilisation islamique » en tant que telle ne serait pas désormais parvenue plus ou moins à la fin de son cycle d’existence sous sa forme actuelle et dans sa continuité historique extérieure. C’est-à-dire que, face à la Modernité, elle paraît avoir épuisé ses possibilités civilisationnelles plénières proprement dites (8)

       Elle aussi semble glisser progressivement vers le sort des civilisations juive et chrétienne qui l’ont largement devancée dans ce processus, et comme l’ont fait également la civilisation chinoise traditionnelle, remplacée par la tyrannie militaro-policière du communisme, et celle de l’Inde où le régime des castes, expression profonde de la véritable harmonie spirituelle et sociale, a été mis à mal depuis Gandhi et Nehru. Toutefois, ceci ne veut certes pas dire que l’Islam aurait épuisé toutes ses possibilités spirituelles, car ce n’est pas le cas – il est dit qu’elles se maintiendront jusqu’à la mort du Christ de la Seconde Venue (9) –, et on s’abstiendra ainsi d’assimiler l’Islam à la « civilisation islamique ».

     Comme toutes les formes traditionnelles encore vivantes (10), l’Islam existe et s’incarne en dehors de toute civilisation en tant que celle-ci serait produite par celui-là, et même s’il y tend toujours naturellement, comme la plupart des autres traditions. On comprendra ainsi pourquoi l’Islam politique, souvent influencé par les conceptions occidentales auxquelles il prétend s’opposer, ne présente pour nous aujourd’hui que peu d’intérêt. Comme les prémices qui s’en dessinent de nos jours permettraient de le laisser penser, ce n’est d’ailleurs pas de manière politique ou militaire qu’une partie de l’Occident pourrait être absorbée par l’Orient si l’on accepte l’annonce de la possibilité de cette hypothèse faite par René Guénon dans son premier livre.

       En réunissant des spécialistes de différentes disciplines et méthodologies autour d’une focalisation thématique sur les représentations doctrinales et artistiques, et l’expérience spirituelle dans l’adhésion religieuse traditionnelle, ce livre permet de comprendre ce qui fonde réellement l’amour et la foi des musulmans pour le Prophète, les modalités de sa présence parmi eux dans le passé comme dans le présent. En même temps, cet ouvrage peut faciliter l’accession des Occidentaux non-musulmans à une compréhension de la véritable dimension spirituelle du Prophète.

         La première partie aborde son image...       

       

Stanislas Ibranoff

 

 

La suite de cet article est exclusivement réservée à nos abonnés ou aux acheteurs du numéro 24 des Cahiers de l'Unité 

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calligraphie
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Al-Liwâ al-Hamd

Al-Liwâ al-Hamd

« Seigneur, vous avez fait du Prophète le premier des prophètes en esprit et le dernier en corps ; vous lui avez accordé la Bannière de Louange ; Adam et toute sa descendance marchent dans son ombre déployée. » (Maqqarî, Nafth at-tîb)

deuxième épée du Prophète

La deuxième épée du Prophète, et sans doute la principale, prise à des ennemis et conservée par lui. La lame comporte une figure talismanique où David coupe la tête de Goliath. Les noms de neuf prophètes sont gravés sur cette épée : David, Salomon, Moïse, Aaron, Josué, Zacharie, Jean-Baptiste, Jésus, Muhammad. C’est pourquoi on l’appelle souvent « L’épée des prophètes ». Elle est conservée au palais de Topkapi à Istanbul.

deuxième épée du Prophète
deuxième épée du Prophète

Pour citer cet article :

Stanislas Ibranoff, Compte rendu du livre : The Presence of the Prophet in Early Modern and Contemporary Islam, The Prophet Between Doctrine, Literature and Arts: Historical Legacies and Their Unfolding, Cahiers de l’Unité, n° 24, octobre-novembre-décembre, 2021 (en ligne).

 

© Cahiers de l’Unité, 2021

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