Numéro 17
Janvier, février, mars 2020
édition brochée, 218 illustrations et photographies, couleur, papier couché 120 g, format 19x25, 112 p.
44 €
Revue d'études des doctrines et des méthodes traditionnelles
Cahiers de l’Unité
PLAN
Quelques disciples d’Aurobindo
d) Dilip Kumar Roy et Mâ Indira Devî
Aurobindo et « l’aide orientale » à destination de l’Occident
Aurobindo et le « Mystère de la France »
Actualité de l’aide de l’Inde à l’égard de l’Occident
Ce que nous avons exposé dans les précédentes parties de cette étude démontre suffisamment qu’il serait absolument illusoire d’imaginer obtenir aujourd’hui un rattachement initiatique ou suivre un chemin spirituel de quelque façon que ce soit à Auroville ou à l’ashram de Pondichéry. Celui-ci n’a plus aujourd’hui qu’un intérêt éventuellement « historique », avec la possibilité de se recueillir auprès du samâdhi d’Aurobindo. Cela ne signifie pas pour autant qu’il n’y a pas eu une postérité spirituelle discrète d’Aurobindo, et nous voudrions ici en présenter les principales figures, avant d’en tirer quelques réflexions sur le rôle de Shrî Aurobindo et ses prolongements.
Quelques disciples d’Aurobindo
a) Jean Herbert
Concernant les disciples occidentaux d’Aurobindo, bien peu se sont vraiment distingués à notre connaissance, mais nous devons tout de même évoquer deux exceptions. La première concerne Jean Herbert (1897-1980). Interprète de profession, celui-ci travailla pour la Société des Nations entre les deux guerres mondiales. Il fut notamment l’interprète de Poincaré, Briand, Mussolini et Churchill. Lors de la création de l’ONU, c’est lui qui fut chargé de créer le corps d’interprètes de l’organisation, et de rédiger son « Manuel de l’interprétation », diffusé en huit langues.
En 1934, au retour d’un voyage en Extrême-Orient, il fit escale en Inde, et un concours de circonstance lui permit de rencontrer Aurobindo à Pondichéry. Profondément marqué par cette rencontre, il devint son disciple en 1935, qui lui donna lors de son initiation le nom de Vishvabandu (« l’ami de tous »). Alors qu’il aurait souhaité s’installer à l’ashram, son Maître le renvoya en Europe en lui donnant la tâche de traduire et faire traduire ses écrits et ceux d’autres maîtres. Herbert fonda ainsi la collection « Spiritualités vivantes » aux éditions Albin Michel, et, au travers de près de 250 ouvrages de traductions, beaucoup d’Occidentaux lui doivent de connaître les enseignements de Râmana Maharshi, Râmakrishna, Mâ Ananda Mâyi, Swamî Ramdas, et bien sûr Shrî Aurobindo lui-même.
Si le nom de Vishvabandu indiquait ainsi la fonction de transmission dévolue à Jean Herbert, il devait aussi, à rebours, en indiquer les limites, puisque celui-ci eut toujours tendance à « absorber » tout ce qui se présentait à lui sans faire preuve de beaucoup de discernement. Tout en ayant lu partiellement René Guénon, recommandant même sa lecture en plusieurs occasions à ses lecteurs et ses correspondants – c’est lui qui fit lire Guénon à Roger du Pasquier notamment, dont nous avons parlé dans la précédente partie de cette étude, ce qui devait conduire celui-ci à être initié au Soufisme –, il continuait à admirer sans esprit critique Romain Rolland et Vivekananda…
Si on lui est redevable pour ses traductions, ses commentaires furent souvent empreints d’un certain modernisme. On peut aussi rappeler que Guénon considérait comme « plutôt dangereuse » la manière dont Herbert concevait son rôle de simple « passeur », mettant à la disposition du lecteur certaines conceptions « pour qu’il choisisse ». Le 15 août 1938, il ajoutait : « quelle imprudence de s’en rapporter, pour des choses de cet ordre, au discernement d’un public occidental ! Et puis, même en dehors de cet inconvénient qui n’est pas négligeable, c’est là une attitude vraiment bien “extérieure” à l’égard des doctrines... – En même temps, il m’envoie son “Introduction à l’étude des Yogas hindous”, en me faisant remarquer qu’il y a mis une note renvoyant à mes articles contre le “psychologisme” ; évidemment, il est dénué de parti pris, et c’est bien quelque chose, mais est-ce suffisant ? ».
Malgré ses limitations évidentes, on doit relever qu’après la mort d’Aurobindo, Jean Herbert prit ses distances avec les dérives de Mirra Alfassa, et qu’il condamna Auroville, déclarant qu’il ne voyait aucun rapport entre l’enseignement réel d’Aurobindo et ces fantaisies utopistes.
b) Mâ Suryananda Lakshmi
L’une des connaissances de Jean Herbert, Noutte Genton-Sunier, obtint l’initiation d’Aurobindo dans des conditions particulières, puisqu’il accepta de la lui accorder à distance, depuis Pondichéry alors qu’elle résidait France, après qu’elle lui a envoyé une lettre et sa photographie. Elle reçut le nom de Mâ Surayananda Lakshmi et a laissé des témoignages tout à fait dignes d’intérêt sur sa sâdhana. Elle s’est employée à mettre en évidence des rapprochements souvent profonds entre Hindouisme et Christianisme, et certains de ses écrits peuvent être lus avec profit. Elle fut l’une des rares personnalités occidentales se réclamant d’Aurobindo à refuser de se référer à Mirra Alfassa en toute circonstance, et à condamner explicitement Satprem.
c) Kapali Shastri
Parmi les disciples hindous d’Aurobindo, une attention toute spéciale mérite d’être accordée à T. V. Kapali Shastri (1886-1953), qui fut certainement le plus solide sur le plan doctrinal. Né dans une famille de brâhmanes du Tamil Nadu, il enseigna le sanscrit à Madras (appelée aujourd’hui Chennai), et fut d’abord disciple de Ganapati Muni, lui-même disciple de Râmana Maharshi et versé à la fois dans le Vêdanta et dans les Tantra. Après avoir souvent séjourné à son tour aux pieds de Râmana Maharshi dans l’ashram de celui-ci, il fut conduit à Shrî Aurobindo dont il devint le disciple. Ayant déjà reçu l’initiation à la Shrî-vidyâ de Ganapati Muni, il accomplissait chaque jour la pûja du Shrî-yantra avant de se rendre à l’ashram. Il se consacra à interpréter les écrits d’Aurobindo à la lumière des Vêda et des Tantra, et, aujourd’hui encore, ses travaux sur le Tantrisme font autorité en Inde. Il était en outre réputé pour sa connaissance particulièrement approfondie de diverses sciences traditionnelles hindoues, notamment la science des mantra (mantra-shastra), la grammaire (vyâkarana), la logique (nyâya), l’astrologie (jyotisha) et la médecine traditionnelle (ayurvêda).
d) Dilip Kumar Roy et Mâ Indira Devî
Dans un registre tout à fait différent, mais non moins digne d’intérêt, nous devons parler ici de Dilip Kumar Roy (1897-1980) et de sa disciple Mâ Indira Devî (1920-1997). Le premier était un musicien bengali, pratiquant principalement la bhakti envers Krishna, et qu’Aurobindo accepta comme disciple et guida semble-t-il avec une affection toute particulière. En 1949, une jeune femme ayant connu des expériences spirituelles très profondes vint à lui en lui demandant de l’accepter comme disciple, ce qu’il refusa, la renvoyant vers Shrî Aurobindo. Elle insista, et Aurobindo lui-même lui demanda de l’accepter, la guidant les premiers temps « à travers » D. K. Roy. Ces deux figures remarquables quittèrent Pondichéry après la mort d’Aurobindo et fondèrent un ashram à Pune. Tara Michaël, dont nous avons déjà longuement cité le témoignage, devait recevoir l’initiation de Mâ Indira Devî dans les années 1970. Nous publions en annexe de cette étude le récit de ses souvenirs à leur sujet.
e) Yogi Ramsuratkumar
Nous voudrions enfin évoquer le cas d’un sadhu relativement peu connu en Occident, Yogi Ramsuratkumar. Celui-ci connut un parcours exceptionnel, puisqu’il reçut successivement l’initiation de Râmana Maharshi, de Shrî Aurobindo et de Swamî Ramdas. C’est ce dernier qui devait devenir son Maître à proprement parler, mais il se revendiqua toute sa vie de la filiation spirituelle des deux précédents, et voua toujours une vénération particulière à Aurobindo. Établi aux pieds de la montagne sacrée d’Arunâchala, où certains voyaient en lui un jivan-mukta, il donna à ses disciples, parmi lesquels quelques Occidentaux, l’initiation au seul mantra qu’il ait jamais pratiqué, mais dont il disait qu’il lui avait apporté toutes les réalisations en le répétant continuellement jour et nuit durant des années : Om Shrî Ram, Jai Ram, Jai Jai Ram.
Aurobindo et « l’aide orientale » à destination de l’Occident
Pour conclure notre longue présentation du parcours d’Aurobindo et de l’histoire de son ashram, quelques réflexions nous paraissent s’imposer à propos du rôle qu’il devait jouer vis-à-vis de l’Occident.
Plusieurs indices montrent en effet que l’action de Shrî Aurobindo pouvait s’inscrire dans un plan plus général d’intervention de l’Inde dans « l’aide orientale » à destination de l’Occident, qui se manifesta pour la première fois à cette époque. Nous avons fait état, en particulier, des rapprochements qui existent entre son parcours et celui de René Guénon. Nous avons rappelé que leurs initiations hindoues eurent lieu à la même époque (dans les années 1904-1907), dans le même milieu (celui des brâhmanes indépendantistes) et dans la proximité des mêmes figures (non seulement Tilak, mais d’autres également puisque Guénon indiquait avoir eu un ami commun avec Aurobindo), ainsi que le fait que leur fonction d’enseignement commença également au même moment (autour de 1910). Nous avons vu aussi qu’ils exprimaient leur point de vue sur la mission de l’Inde dans des termes tout à fait similaires, en comparant les discours d’Aurobindo et l’article de Guénon sur «L’Esprit de l’Inde ».
Cumulant à la fois une réalisation spirituelle hindoue et une formation occidentale reçue à Cambridge, Aurobindo se trouvait dans une situation très particulière qui pouvait lui permettre de s’adresser à des Occidentaux au nom de la tradition hindoue, et éventuellement...
Benoît Gorlich
(À suivre)
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Jean Herbert en 1979
Bal Gangadhar Tilak et d’autres chefs indépendantistes hindous en 1907. Tilak séjourna onze mois à Londres.
Mâ Suryananda Lakshmi
Kapali Shastri