Numéro 17
Janvier, février, mars 2020
édition brochée, 218 illustrations et photographies, couleur, papier couché 120 g, format 19x25, 112 p.
44 €
Revue d'études des doctrines et des méthodes traditionnelles
Cahiers de l’Unité
NOTES
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1. En 1943, Pierre Naville avait déjà dit qu’« il en faut assez connaître des œuvres et les travaux du XVIIIe siècle, pour éclairer celles du XXe, et assez connaître celles du XXe pour les relier à leurs matrices anciennes. » Il signalait également que l’athéisme moderne et le matérialisme scientifique trouvèrent leur première exposition systématique dans l’édition du Système de la Nature par Helvétius, en 1770. (D’Holbach et la philosophie scientifique au XVIIIe siècle, Paris, Gallimard, [1943], 1967).
Alors qu’il n’était âgé que de vingt ans, Naville fit la connaissance de R. Guénon en 1924 pour lui proposer, à la demande d’André Breton, de collaborer à La Révolution surréaliste, une revue sans intérêt intellectuel, proposition que déclina l’auteur de La Crise du Monde moderne. Naville, sans doute trop jeune alors pour percevoir l’envergure de celui qu’il avait rencontré, ne fut jamais en mesure de comprendre l’œuvre de Guénon. Comme la plupart des hommes de sa génération, il passa à côté des possibilités supérieures de la vie humaine et manqua aux conditions d’une vie posthume favorable en se fourvoyant dans le bourbier inutile et malfaisant du marxisme et de la politique. Il entrera au CNRS en 1944. (Cf. Françoise Blum (dir.), Les vies de Pierre Naville, Villeneuve d’Ascq, 2007)
2. À titre de simple exemple, mentionnons les ambassades françaises qui font paraître un bulletin où figure la publication des livres français traduits dans la langue du pays où elles représentent la France. Selon le témoignage d’un ancien directeur de l’Institut culturel français à Milan, ces ambassades s’abstiennent de mentionner les livres qui ne font pas partie des auteurs recommandés par le ministère des Affaires étrangères à raison de leur conformité idéologique. Certains livres auront beau s’être très bien vendus en France, ils ne seront ni promus ni achetés par les bibliothèques du réseau.
L’historien Jean de Viguerie offre un autre exemple : « Après que j’eus publié ces études dans les revues et les ouvrages collectifs auxquels je les destinais, le silence les enveloppa toutes. Je m’attendais à des réponses et même à de vives protestations. Il ne se passa rien. Est-ce que je n’allais pas contre l’interprétation commune ? Est-ce que je ne formulais pas dans certaines de mes études, comme par exemple Les Lumières et les peuples, certaines suppositions blasphématoires ? Sans doute, mais personne ne broncha. [...] N’étant pas adepte de l’histoire blochienne, je n’existais pas, et mes études n’étaient pas autre chose que rien. Il était donc tout à fait logique de n’en point parler, de ne pas y répondre et de ne les citer jamais, pas plus que mes livres, dans les bibliographies savantes. » (J. de Viguerie, Itinéraire d’un historien, pp. 28-29, Dominique Martin Morin, 2000)
Rappelons aussi que Die Dialectik der Aufklärung-philosophische Fragmente de Theodor Adorno et Max Horkheimer, publié en 1947, ne sera traduit en français sous le titre Dialectique de la raison que trente plus tard, en 1974. Les Réflexions sur la Révolution de France de Burke furent aussi à peu près introuvables dans la librairie courante en France avant 1989 ; les Considérations sur la France (1797) de Joseph de Maistre également, ainsi que les œuvres de Louis de Bonald. C’est une autre manière de peser sur les débats contemporains que de ne pas rééditer, ne pas diffuser ou ne pas traduire certains livres, ou en le faisant trop tard...
3. Cf. H. Leuwers, « Renaud Escande, dir., Le livre noir de la Révolution française », Annales historiques de la Révolution française, n° 351, 2008.
4. Jean de Viguerie assuma néanmoins publiquement ses convictions catholiques, et son refus du marxisme, ce qui l’exposa à de multiples avanies, dont le refus de la Sorbonne, où il devait enseigner, de l’accepter. En régime moderne, il est souvent préférable de cacher son affiliation religieuse.
5. Introduction à la France moderne. Essai de psychologie historique 1500-1640, p. 13, Paris, 1961, cité par J. de Viguerie, op. cit., p. 15.
6. François Furet, quoiqu’ayant rompu non sans mal ni conséquence avec l’historiographie marxiste dominante (qui avait pour centre l’Institut d’Histoire de la Révolution française à la Sorbonne – 1937-2015), a célébré l’illusoire souveraineté du peuple née en 1789. Sans contester certaines de ses distinctions tout en les interprétant autrement, il est néanmoins préférable de suivre M. Claude Quétel, directeur scientifique du Mémorial de Caen. Il considère que la Révolution française « fut un épisode exécrable, de bout en bout, de l’histoire de France ». Cf. Crois ou meurs ! Histoire incorrecte de la Révolution française, Paris, 2019. Le titre de l’ouvrage est une citation d’un texte de Mallet du Pan publié dans le Mercure de France du 17 octobre 1789 : « C’est le fer ou la corde à la main que l’opinion dicte aujourd’hui ses arrêts. Crois ou meurs ! voilà l’anathème que prononcent les esprits ardents, ils le prononcent au nom de la liberté. Vainement, au milieu de tant d’écueils, prendrait-on pour guide la modération ; elle est devenue un crime ». Pour un panorama général de l’historiographie de la Révolution, cf. Jean-Clément Martin, « La Révolution française et ses historiographies, même », sur le site Academia.edu.
7. Les Aventuriers des Lumières, Paris, 1997. Ajoutons que, comme l’indique déjà son titre, le premier livre de Sade, Justine ou les Malheurs de la vertu (1787), a pour principe l’inversion des valeurs. La vertu n’y engendre qu’injustice et sévices. Que Sade (1740-1814), « athée jusqu’au fanatisme » comme il le disait lui-même, fût un sociopathe criminel ne fait pas de doute, sauf pour ceux qui sont perdus dans l’hébétude de l’illusion littéraire, mais il n’empêche qu’il fut sinon intelligent du moins fort rusé. Il s’apparente nettement à des individus comme Albert Fish (1870-1936) ou Ted Bundy (1946-1989). Quoiqu’il faille être soi-même sérieusement aliéné pour trouver un intérêt érotique à ses divagations pathologiques, il a pourtant été glorifié pendant tout le XXe siècle et même avant. Flaubert, Gautier, Apollinaire, Breton, Bataille, Heine, Noailles, Cocteau, Paulhan, Desnos, Éluard, Blanchot, Beauvoir, Barthes, Lacan, Lely, Pauvert, Deleuze, Foucault, Sollers, Lebrun, etc, furent ses dupes ahuries et les instruments de sa vengeance posthume contre la société. (Malgré quelques approximations, cf. le salutaire ouvrage de Michel Onfray, La passion de la méchanceté. Sur un prétendu divin marquis, Paris, 2014. On regrettera qu’il compare Sade, d’abord partisan de ce régime absurde qu’est la monarchie parlementaire à l’anglaise, puis ensuite républicain, à un «féodal royaliste» ; c’était céder à la facilité imbécile du cliché caricatural jacobino-marxiste selon lequel tout « féodal royaliste » est un monstre vautré dans l’abus de pouvoir.)
Si l’on sait que l’abbé Jacques de Sade, oncle du marquis, joua un rôle corrupteur auprès de Sade alors enfant, on peut néanmoins poser la question de savoir s’il y avait un lien de parenté entre Gaspard Gaufridy (1729-1818), ami et homme de confiance de Sade, et l’abbé Louis Gaufridy, le sorcier brûlé vif en 1611 à Aix-en-Provence. Un tel lien, s’il était attesté, pourrait peut-être permettre de voir dans le cas putride de Sade quelque chose qui va plus loin que le problème des altérations psychiatriques. (Joris Astier, « L’affaire Gaufridy : possession, sorcellerie et eschatologie dans la France du premier xviie siècle », Revue des sciences religieuses, année 93, nos1-2, 2019) Pierre Naville fut le premier à remarquer les emprunts littéraux faits par Sade à l’œuvre d’Holbach : « Sade connaissait fort bien les ouvrages de d’Holbach. Ses personnages le citent, […]. Tous les thèmes du Système de la nature sont systématiquement repris dans les exposés de principe qui coupent l’action de ses romans. Mieux encore : Sade a textuellement reproduit de nombreuses pages de d’Holbach dans ses livres, ce dont bien peu de critiques se sont avisés. » (Op. cit.,p. 367)
8. M. Roger Chartier, de l’École des Annales, n’a pas hésité à déclarer : « C’est peut-être la Révolution qui a fait les philosophes, et non le contraire ! Il n’y a pas, en effet, de causalité directe entre l’élaboration d’une pensée et les transformations de la mentalité partagée d’une masse d’individus. [...] On ne peut pas établir de relation directe entre le fait de lire un livre et celui de croire à ce qui y est montré ou démontré. » (L’Histoire, oct.-déc. 2004)
9. « Nous nous reposons aujourd’hui sur une idée relativement bien établie des Lumières. Nous savons où elles commencent et d’où elles viennent, même si la question de leur généalogie et des filiations d’où elles procèdent reste largement ouverte. Certains les font remonter à Locke, d’autres à Descartes, à Spinoza ou à Bayle, voire, pourquoi pas, aux jésuites et aux jansénistes. Mais il faut se souvenir qu’il n’en a pas toujours été ainsi, que cette identification a été laborieusement construite et que ces grilles interprétatives qui nous permettent de nous repérer ont été forgées au cours de vifs débats. » (Catherine Maire, « L’entrée des “Lumières” à l’Index : le tournant de la double censure de l’Encyclopédie en 1759 », Recherches sur Diderot et sur l’Encyclopédie, n° 42, avril 2007) Pour Paul Hazard : « Toutes les idées qui ont paru révolutionnaires vers 1760, ou même vers 1789, s’étaient exprimées déjà vers 1680. Alors une crise s’est opérée dans la conscience européenne entre la Renaissance, dont elle procède directement et la Révolution française, qu’elle prépare, il n’y en a pas de plus importante dans l’histoire des idées. À une civilisation fondée sur l’idée de devoir, les devoirs envers Dieu, les devoirs envers le prince, les “nouveaux philosophes” ont essayé de substituer une civilisation fondée sur l’idée de droit : les droits de la conscience individuelle, les droits de la critique, les droits de la raison, les droits de l’homme et du citoyen. » (La crise de la conscience européenne, 1680-1715, Paris, 1935)
10. Cf. J. de Viguerie, « La révocation de l’édit de Nantes : mise au point », op. cit.
11. Dans une Note inédite, Guénon indiquait : ...
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Pour Viguerie, il existe deux patries. L’une est la terre traditionnelle des pères, celle-ci a toujours existé. L’autre est récente. Elle date des Lumières et de la Révolution. Elle représente l’idéologie révolutionnaire. La première est la France. La seconde n’est pas la France, mais la France est son support et son instrument. Cette substitution est le résultat d’une longue manipulation. Les politiciens depuis l’Empire jusqu’à la Cinquième République, parlant sans cesse de la chère France immortelle, ont effectué le plus gros du travail de brouillage des esprits. Mais d’autres leur ont facilité la tâche. Ils ont exalté la France guerrière et la grandeur de la mort pour la patrie. Des généraux, des évêques et des académiciens ont présenté cette France fictive comme une réalité. Il n’y avait plus qu’à mourir. Le patriotisme révolutionnaire visait l’absorption de la France dans la patrie mondiale confondue avec le genre humain. Nous y sommes. Pour Viguerie, la France véritable est morte.
Sade par Man Ray 1938