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ÉDITORIAL René Guénon

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        René Guénon et Jacques Maritain réévaluèrent conjointement le rôle fondamental de l’intuition intellectuelle dans l’ordre de la connaissance métaphysique et de l’éthique traditionnelle qui en découle. Ils s’accordèrent sur la critique de l’individualisme moderne, qu’ils virent comme une des causes principales de la crise de la modernité. Pour eux, celle-ci est avant tout une crise spirituelle, et ils démontrèrent de manière irréfutable son caractère profondément dangereux comme cela n’avait jamais été fait auparavant. En revanche, ils divergèrent radicalement sur ce qui permettrait de remédier à cette situation morbide.            
       Au regard de l’enjeu civilisationnel en cause, à savoir le sort de l’Occident à leur époque et désormais sans doute celui du monde entier lui-même, comme de l’importance majeure des deux protagonistes qui en traitèrent au XXe siècle, il est tout à fait extraordinaire de constater qu’aucun intellectuel parmi les lecteurs qualifiés de René Guénon comme chez les nombreux admirateurs de Maritain, ni en dehors d’eux, ne se soit jamais attaché à comparer rigoureusement leurs deux positions et les solutions qu’ils proposèrent. Peut-être cela tient-il au fait que ceux qui adhèrent à une doctrine structurée n’entendent généralement que ce qui confirme ou contredit leurs convictions. Tout le reste n’a alors pas d’existence ou se trouve complètement déformé afin, précisément, d’en réduire catégoriquement la valeur, c’est-à-dire l’existence. 
       Il nous semble pourtant qu’une comparaison impartiale des deux œuvres restait nécessaire. Devant cette crise de la modernité qui n’en finit pas et s’aggrave sans cesse, la recherche de la vérité et son exposition demeurent plus que jamais indispensables. Si Guénon a promu le recours aux doctrines orientales, en en donnant les clefs, afin de retrouver une métaphysique pure et intégrale, Maritain prôna une renaissance de la philosophie thomiste couplée à la charité chrétienne. Mais d’ailleurs, le point de vue de Maritain se limitait-il seulement à la forme traditionnelle chrétienne ou rejoignait-il la perspective universelle de René Guénon ? Et comment l’un et l’autre pensaient-ils l’universalité ? De quelle manière définissaient-ils ce qui est traditionnel et ce qui ne l’est pas ? Est-il ainsi possible de concilier spiritualité et modernité dans l’« humanisme intégral » auquel invite Maritain ? Et qu’en est-il des applications dans l’ordre social et politique ? Quelle est leur conception de l’autorité spirituelle et du pouvoir temporel ? En définitive, sur quoi se fonde exactement leur critique de la modernité ? Qui donc a raison de Guénon ou de Maritain ? Car c’est bien la question fondamentale qui toujours doit nous habiter : qu’est-ce qui est vrai et qu’est-ce qui est faux ? Où est la vérité ? Et comment mettre en œuvre les solutions présentées ? 

         Évidemment, une telle étude comparative exige de connaître aussi bien les écrits de l’un que de l’autre, et c’est sans doute ce qui a manqué jusqu’ici. L’ampleur des deux œuvres et la complexité du sujet qui ne se ramène pas à des formules simples demandaient également une puissance de discernement aussi aiguë que détachée de toute passion. Or, il est connu que dès qu’intervient, à un moment ou à un autre, « la question religieuse », si l’on nous autorise l’emploi d’un syntagme aussi galvaudé, un voile opaque d’aveuglement se dépose toujours sur la majorité des consciences.
        En surmontant brillamment tous ces écueils apparemment infranchissables jusqu’ici, c’est à cet examen que M. Paul Ducay nous convie aujourd’hui par des analyses croisées des écrits publics et des correspondances significatives de Guénon et Maritain. Pour la première fois, une réponse magistrale et définitive est apportée aux questions que posent deux œuvres aussi proches qu’éloignées, mais reliées par un projet analogue : le retour à la Tradition. Nous sommes donc reconnaissant envers M. Ducay d’avoir bien voulu l’offrir aux lecteurs de nos Cahiers.


        Il est encore question de la tradition chrétienne avec le nouveau texte de M. Gabriel Giraud qui s’attache à montrer qu’il ne faut pas envisager une intégration catholique de la doctrine traditionnelle, mais plutôt une réintégration de la doctrine catholique dans la doctrine traditionnelle, qui en représente le noyau immuable. C’est en effet cette réintégration qui pourra rendre au Catholicisme son universalité originelle. Dans son article, il cherche ainsi à poser les fondements d’une telle intégration. Il identifie trois difficultés : la question de la Trinité, la question de l’Incarnation et la question de l’Islam en tant que révélation ultime, qui excède la perspective œcuménique de Vatican II.          
         

       De son côté, M. Laurent Guyot propose une importante étude critique d’un livre collectif récemment paru consacré à René Guénon, mais surtout à Frithjof Schuon. En s’appuyant notamment sur des correspondances inédites de René Guénon, Michel Vâlsan, Frithjof Schuon, Jean Reyor et Roger Maridort, il apporte un éclairage tout à fait nouveau sur « La réception de Frithjof Schuon en Italie dans le sillage des premières traductions de l’œuvre de René Guénon ». Sa relecture pénétrante concernant « l’accueil de l’école traditionnelle dans l’espace germanophone » va également bien au-delà de la simple histoire éditoriale des livres de Guénon en Allemagne. Ce qu’il nous apprend ici, dans les deux sections de cette première partie de son étude, n’avait jamais été exposé auparavant.
 

Julien Arland

Directeur littéraire

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