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ÉDITORIAL René Guénon

             La présente livraison propose l’avant-dernière partie de l’étude de M. Greif sur les « Amis de Dieu », et c’est maintenant le début de ses conclusions. Élargissant sa perspective, il fournit quelques indications qui renouvellent la manière d’aborder le problème actuel de l’initiation chrétienne sous le rapport du rattachement initiatique, de la méthode et de la guidance spirituelles.

                     M. Houberdon traite des commentaires et interprétations ésotériques du Voyage Nocturne du Prophète de l’Islam comme modèle du processus de réalisation initiatique. Lors de la publication de son texte la question s’est posée de savoir si certains termes traduits de l’arabe devaient ou non prendre une majuscule. Une traduction est une interprétation et le fait que l’arabe ne comporte pas de majuscule nous semble un argument dénué de valeur pour ne pas en utiliser : ce qui est important, c’est évidemment le rendu en français pour les lecteurs de langue française.

                 Bien entendu, il y a en langue française des règles plus ou moins intangibles qu’il convient de suivre, mais dans la traduction des langues orientales, il est nécessaire aussi de savoir s’affranchir de celles-ci pour tenter de restituer à certains mots la dimension qui est la leur dans leur langue d’origine. À cet égard, nous réprouvons à la fois un trop grand « purisme » et les innovations mal fondées. La référence définitive à ce propos est évidemment René Guénon. On remarquera ainsi que son utilisation des majuscules, qui parfois ne s’imposent pas grammaticalement dans certains termes, ajoute à ceux-ci dans la langue française une dimension qu’ils n’avaient pas à l’origine. La majuscule exprime alors la nature spirituelle du mot employé, nature qui n’existait pas auparavant dans la langue (par exemple : « Station », « Identité Suprême », etc). Ce qui montre l’intérêt d’une certaine liberté à ce propos.

                  Si la référence, dans cette question, est René Guénon, le problème est qu’il y a parfois des erreurs typographiques dans les versions imprimées de ses livres, et pas toujours les mêmes d’un livre ou d’une édition à l’autre. Ce ne sont donc que les manuscrits qui pourraient nous offrir une référence fiable. Mais même dans ceux-ci, il y a parfois quelques variations volontaires (« Être », « être », par exemple) liées peut-être à des époques différentes, ou autres. Il y aurait sans doute une petite étude à faire sur ce point. Pour la traduction française de l’arabe, on pourra s’en rapporter aux textes de Michel Vâlsan, mais il se pose là aussi les mêmes problèmes : celui des erreurs typographiques non corrigées dans le texte imprimé. Il y a aussi, et il l’a dit lui-même, que le français n’était pas sa langue maternelle. Il pouvait donc parfois se corriger d’un texte à l’autre, ou se faire corriger par des tiers.

                  Sur cette affaire de traduction, rappelons à cette occasion, pour ceux qui affirmaient autrefois qu’il serait profanateur de « constituer un lexique ou une sorte de dictionnaire des notions et expressions utilisées », qu’Ibn Arabî est lui-même l’auteur d’un Livre sur les Termes techniques des Soufis (Istilâhât as-Sûfiyyah) ; et que dès 1910, Palingenius envisageait un « Projet d’explication des termes techniques des différentes doctrines traditionnelles » (cf. La Gnose, décembre 1910).

            Il n’en demeure pas moins que nous sommes évidemment contre l’uniformité, et c’est la raison profonde pour laquelle nous n’imposons pas de charte éditoriale stricte. Nous pensons que c’est une richesse que chacun, même dans ce domaine, et dans une certaine mesure, puisse exprimer sa propre sensibilité, dès lors qu’elle relève de l’esprit traditionnel. C’est un peu troublant pour les mentalités modernes, mais c’est qu’elles ont oublié qu’il en était ainsi autrefois. 

               On trouvera encore dans ce numéro la traduction d’un petit texte de Clement E. Stretton sur les armoiries de la Franc-Maçonnerie opérative par notre ami M. Laurent Guyot, traduction qui s’inscrit dans le grand projet qu’il a lancé d’une traduction des écrits de Stretton, en demandant l’aide de tous ceux qui peuvent y participer. Ce qui reste toujours d’actualité.

              M. Ibranoff publie la dernière partie de son étude critique du livre de M. Renaud Fabbri en apportant une compréhension nouvelle et jusqu’ici méconnue de la tradition hindoue.

            Avec la vigueur que nous lui connaissons, il traite enfin, dans un compte rendu, d’un aspect du monde moderne qui, s’il a pris une grande importance, demeure généralement ignoré ou négligé. Ce qui ne le rend que plus dangereux. Nous espérons vivement que notre collaborateur offrira encore quelques études dans ce sens. Bien que la crise du monde moderne et son règne de la quantité ne soient, certes, pas terminés, on observe une quasi absence de travaux à ce sujet du côté des études traditionnelles. Cela serait utile à ceux qui n’ont pas encore les capacités d’actualiser l’enseignement de Guénon dans ce domaine.

 

Auctorialité

 

             Pour terminer cet éditorial, déjà trop long, disons quelques mots sur des remarques entendues à propos de nos collaborateurs. Selon un trait typiquement moderne, certains s’intéressent plus à celui ou à ceux qui écrivent qu’à ce qui est écrit. S’il est difficile d’en blâmer les profanes, sujets de la propagande moderne intensive, il est plutôt inquiétant de le constater chez ceux qui prétendent accorder la plus haute autorité à l’enseignement de R. Guénon. Nous avons déjà rappelé ce qu’il indiquait à cet égard : « la curiosité des noms est une des manifestations les plus ordinaires de l’“individualisme” moderne » ; et aussi : « L’“historicisme” de nos contemporains n’est satisfait que s’il met des noms propres sur toutes choses, c’est-à-dire s’il les attribue à des individualités humaines déterminées, suivant la conception la plus restreinte qu’on puisse s’en faire, celle qui a cours dans la vie profane et qui ne tient compte que de la seule modalité corporelle. » Il y a ainsi chez ceux qui s’attachent à cette question un signe manifeste d’incohérence et le témoignage d’un manque d’esprit traditionnel. On se demande pourquoi ils font ainsi preuve d’une mentalité aussi profane. Bien sûr, la véritable raison en est, la plupart du temps, qu’ils sont tout simplement impuissants à déterminer la valeur de ce qui est écrit...

               Malgré ce tourment qui semble les perturber, nous ne voulons pas nous attarder sur ce point : comme nous l’avons déjà indiqué dans le n° 8, seule importe pour nous la qualité des textes qui s’inscrivent dans notre ligne éditoriale, et nous ne nous préoccupons guère de l’individualité des auteurs. Maintenant, si  nous devions répondre à la curiosité déplacée des uns, sans nous abaisser à répondre aux remarques ridicules des autres (Don’t feed the troll dit-on assez drôlement dans le langage internétique) ni nous soucier des naïfs qui croient le dernier qui a parlé, nous dirions qu’il nous semblait que c’était une évidence pour tout le monde que nos collaborateurs sont respectivement rattachés à une voie initiatique et à la forme traditionnelle concomitante, que ce soit la Maçonnerie, le Soufisme, le Bouddhisme ou le Tantrisme. Il n’y a là rien que de très normal pour une revue comme la nôtre.

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Julien Arland

Directeur littéraire

Pour citer cet article :

Julien Arland, « Éditorial », Cahiers de l’Unité, n° 15, juillet-août-septembre, 2019 (en ligne).

 

© Cahiers de l’Unité, 2019  

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