Numéro 17
Janvier, février, mars 2020
édition brochée, 218 illustrations et photographies, couleur, papier couché 120 g, format 19x25, 112 p.
44 €
Revue d'études des doctrines et des méthodes traditionnelles
Cahiers de l’Unité
NOTES
Cliquez sur le numéro de la note pour revenir à l'endroit du texte
[Cet essai de 1935, est dédié à Walter Andrae, auteur de Die ionische Säule, Bauform oder Symbol? et à Carl Anders Scharbau auteur de Die Idee der Schöpfung in der vedischen Literatur. Le terme Land-Náma-Bók, « prise de possession du sol » provient d’une saga islandaise du Moyen Âge. NdT]
1. Comme il n’est peut-être pas parfaitement évident de comprendre pourquoi on peut dire que l’Essence (ātman) sépare les mondes, il convient d’observer que la Bṛhadāraṇyaka Upaniṣad, IV, 4, 22, prend soin de spécifier que c’est l’aspect de l’Essence qui opère comme vijñāna-maya, « sur le mode de la discrimination », c’est-à-dire comme le mano-maya ātman, ou comme le commente la glose, le jīvātman. Il est clair que ānanda-maya ātman, ou paramātman, ne pourrait être considéré que comme unissant les mondes.
Le « Pont » est souvent appelé simplement le « Chemin » (panthāḥ) par exemple dans Bṛhadāraṇyaka Upaniṣad, IV, 4, 8 : « L’ancien chemin étroit s’étendait […] par lequel les libérés qui comprennent le pouvoir Spirituel montent jusqu’au Paradis », et dans Kaṭha Upaniṣad, III, 14 : « Le fil aiguisé d’un rasoir, difficile à franchir, que les Voyants appellent un chemin difficile », ce dernier passage correspondant aussi à Kaṭha Upaniṣad, III, 2 : « Ce pont (setuḥ) pour les sacrificateurs, l’ultime et impérissable pouvoir spirituel, le Chemin (pāram) pour ceux d’entre eux qui traverseront jusqu’au lieu de la Non-peur, Nāciketas ! c’est cela que nous maîtriserons. »
Dans Ṛgveda, X, 67, 4, là où il est dit que Bṛhaspati chasse « le bétail caché sur le pont du chaos » (anṛtasya setau), le pont est évidemment appelé ainsi du fait de son « extrémité obscure », d’où est initiée la procession de la lumière ; anṛta caractérisant le monde désordonné, non discriminé, potentiel et sombre des Asuras, ṛta le monde de la lumière ordonné et réel des Devas. C’est à cause de son « extrémité de lumière », et du fait qu’il est le chemin de la procession angélique (devayāna) que le pont est amṛtasya, « le pont de l’æviternité », comme dans la Maitri Upaniṣad, II, 2, 5. On comprendra, bien sûr, qu’ici comme toujours l’ultime station de Celui-qui-comprend (vidvān) est « dans l’espace du milieu » (madhye sthāne, Chāndogya Upaniṣad, III, 11, 1), le « pont », qui est aussi « l’axe de l’univers », et « tient les mondes », séparément n’ayant plus de signification ni aucune portée pour celui en qui les mondes lumineux et obscur ne sont plus divisés.
La traversée, du point de vue du Voyageur, est le passage du non-être à la plénitude de l’être, de l’enfer au paradis, des ténèbres à la lumière, du danger à la sécurité ; mais parce que le lieu de sécurité est considéré seulement comme le paradis de la lumière manifestée, ce n’est pas le but final de Celui-qui-comprend. Dans Kaṭha Upaniṣad, II, 11, il est dit que Naciketas a « entièrement renoncé » à ce but céleste vers lequel s’étend le pont ; car son but est l’Identité Suprême, tad ekam, dans Ṛgveda, X, 129, 2, dans laquelle, du fait qu’elle est sans altérité, il n’y a pas de distinction entre l’obscurité et la lumière, la mort et la vie æviternelle, et donc pas de vide béant à franchir par un passage.
2. Dans la mesure où le « Pont » apparaît dans la tradition plus souvent comme le moyen de retourner vers l’autre monde que comme moyen d’en sortir, nous n’avons pas jugé nécessaire d’en faire davantage référence dans le texte. Mais une autre mention de la chaussée reliant les mondes deva et asuradoit être notée à propos du « Pont de Rāma », et même si nous parvenons à notre conclusion de manière différente, nous sommes d’accord avec Charpentier (Bull. Sch. Or. Studies, VII, 682), sur le fait « qu’il n’y a pas la moindre raison de suggérer qu’il (le Rāmāyaṇa) contient l’histoire de la propagation de l’aryanisme vers le sud », et que « les singes ne sont certainement pas les Dravidiens ». Si Laṅkā est au « Sud », c’est comme le Nadir par rapport au Zénith.
Pour le pont de Cinvad, cf. SBE, IV, 212, note 3 ; et pour d’autres documents, Scherman, Materialen zur Geschichte der indischen Visions-literatur, p.105, 1892, et Hull, Cuchullin Saga, pp. 72-6, 291, 1898.
3. Pour la Chine, cf. Lī Chī, IV.1.1.13f., XXI.2.5-7, et XXI. 4-5 (SBE, vols. XXVII, XXVIII), et aussi Granet, Danses et légendes de la Chine ancienne, pp. 328-32. Dans le rite chinois, il est significatif (1) que le labourage soit entrepris spécifiquement pour fournir la nourriture nécessaire à l’offrande du sacrifice, cf. VII.2.2.7, cité ci-dessous, (2) qu’il y ait une coopération des principes masculins et féminins, l’Impératrice et ses dames confectionnant les robes de soie à porter pour le sacrifice, (3) que l’ouverture du sol, comme la prise de la virginité, soit considérée comme dangereuse, et que ce soit l’Empereur en tant que prêtre qui assume cette tâche, et (4) qu’un rituel correspondant avec une signification inversée soit effectué à l’équinoxe d’automne.