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UNE NOTE SUR L'ASHVAMEDHA

Une note sur l’Aśvamedha [1]

Première édition dans Archiv Orientalni,
Prague, VIII, 2, p
p. 306-17 (Août 1936)

RN 1
Ashvamedha - Sacrifice du cheval - 1652 - illustration du Râmâyana

Aśvamedha (Sacrifice du Cheval) illustration du Râmâyana (1652)

RN 2 et 3

Pṛcchāmi tvā vṛṣṇo aśvasya retas ... somam āhur vṛṣṇo aśvasya retas,

(Taittirīya Saṃhitā, VIII, 4, 18)

              Les interprétations modernes des textes védiques sont encore et toujours entachées par la projection d’intérêts, de sentiments et de modes de pensées contemporains sur une manière de vivre d’un tout autre ordre. Nous sommes aujourd’hui à ce point naturalistes par tempérament et par formation, que nous sommes prêts à attribuer à toute autre époque et à tout autre peuple une idolâtrie et un culte de la nature correspondants. Nous ne savons plus ce que signifie penser le monde comme une théophanie, reconnaître dans toute expérience et dans tout acte la trace d’une réalité supérieure à elle-même.

          Dans ce contexte, on peut se demander comment, alors qu’il nous paraîtrait sacrilège d’accompagner les actes sexuels d’une incantation sacrée, comme le prescrit la Bṛhadāraṇyaka Upaniṣad, VI.4, et que notre seule morale est celle de l’abstention, du fait de vouloir ne pas agir et non celle de savoir agir sans agir, pouvons-nous espérer comprendre ou évaluer l’ancien usage des symboles sexuels dans les rites sacrificiels ? Tant que nous nous laisserons gouverner par notre propre appréciation personnelle, tant que nous tiendrons pour acquis la valeur absolue du goût et des normes contemporaines, toute interprétation nous en dira inévitablement plus sur celui qui interprète que sur ce qui est interprété (2). Dans le sens le plus profond possible des mots, et pas seulement par le voyage ou le savoir, « Wer den Dichter will verstehen, muß in Dichters Lande gehen » [3]. Il s’agit d’un voyage plus étendu que celui que l’on peut effectuer au moyen de navires ou de livres uniquement. 

         À ce propos, nous nous proposons de dire quelques mots sur le rôle que joue la reine (mahiṣī) dans le Sacrifice du Cheval (aśvamedha). D’entrée de jeu, ce qui devrait peut-être nous alerter c’est que la désignation habituelle de la Reine en titre (4), qui est aussi celle de la Theotokos dans Ṛgveda, V, 2, 2, soit “She-Buffalo”, la Bufflonne [5], ce qui déjà choque notre sensibilité. Nous supposerons que le lecteur connaît les textes suivants : Ṛgveda, I, 163 [6] ; Taittirīya Saṃhitā, VII, 4, 18-19 ; Vājasaneyi Saṃhitā, XXIII ; Śatapatrha Brāhmaṇa, XIII ; Āpastamba Śrauta Sūtra, XX, 18 ; Baudāyana Śrauta Sūtra, XV, 29 ; les meilleures traductions disponibles se trouvent dans The Sacred Books of the East, XLIV ; l’Āpastamba Śrauta Sūtra de Caland (1921-1928), et surtout L’vamedha de Paul-Émile Dumont (1927) [7]    

        Griffiths refuse de traduire les vers qui se rapportent à «la cérémonie répugnante», et de la même façon pour Keith ceux-ci «sont difficilement traduisibles», leur langage est « obscène ». Mais rien ne prouve que de tels sentiments aient été éprouvés par ceux qui participaient à la cérémonie, qui étaient pour eux une partie essentielle et significative d’un rite magnifique et solennel, et comme tous les autres rites sacrificiels une mimesis de ce que les Dieux avaient accompli « au commencement » [8]. Nous ne pouvons espérer interpréter avec fidélité que si nous adoptons le point de vue des sacrificateurs eux-mêmes, et non si nous nous sentons contraints de nous rappeler à chaque phrase que de tels actes et expressions seraient « indécents » pour nous.      

           Il faut savoir que ce qui est ou n’est pas de bonne facture ou correct dans un ordre social traditionnel n’est pas (comme c’est le cas dans notre environnement anti-traditionnel) déterminé par le ressenti, mais par la connaissance. Est bien ou beau ce qui est conforme au premier principe de la vérité, dont le bien et le beau sont des aspects ; et s’il en était autrement, les règles en matière de conduite et d’art ne seraient que des questions de goût, et à la merci de ceux qui croient que « le bon goût est mon goût », ou même que le bon goût est le goût ordinaire. 

      Dans un ordre traditionnel, au contraire, et également en ce qui concerne l’agibilia et la factibilia [9], le canon est établi métaphysiquement par ce qui a été fait au commencement. « On pense, je dois faire ce que les Dieux ont fait » (Śatapatha Brāhmaṇa, VII, 2, 1, 4), cela vaut non seulement pour le rite lui-même, mais pour toute la vie, là où la vie est interprétée rituellement. Dans le cas présent, par exemple, le cheval...

         

 

Ananda K. Coomaraswamy

Traduit de l’anglais par Max Dardevet

La suite de cet article est exclusivement réservée à nos abonnés ou aux acheteurs du numéro 28 des Cahiers de l'Unité

RN 9
Paul Émile Dumont

Paul Émile Dumont

(1879-1968)

Arthur Berriedale Keith (National Portrait Gallery London)

Arthur Berriedale Keith

1879-1944

(portrait, National Gallery, London)

RN 4 5 6 7
RN 8
Citation

Pour citer cet article :

Ananda K. Coomaraswamy, traduit de l'anglais par Max Dardevet « Une note sur l'Ashvamedha », Cahiers de l’Unité, n° 28, octobre-novembre-décembre, 2022 (en ligne).

 

© Cahiers de l’Unité, 2022  

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