Numéro 17
Janvier, février, mars 2020
édition brochée, 218 illustrations et photographies, couleur, papier couché 120 g, format 19x25, 112 p.
44 €
Revue d'études des doctrines et des méthodes traditionnelles
Cahiers de l’Unité
VOIE POSITIVE VOIE NÉGATIVE
Voie positive et voie négative
Brahmâ
« On peut nommer Dieu le Très-Haut par tous les Noms ;
Comme on peut ne Lui en attribuer aucun.
Dieu, Il n’est rien et Il est tout, – sans nulle subtilité ;
Car nomme-moi ce qu’Il est, et puis ce qu’Il ne serait pas ? » (1)
Les doctrines métaphysiques, quelles qu’elles soient – nous pourrions ainsi dire la doctrine métaphysique – ont de tous temps discerné deux « voies » vers Dieu : l’une « positive » ou « affirmative » (via positiva, via affirmativa), l’autre « négative » ou « abstractive » (via negativa, via aphairetica).
Le Principe Suprême (Brahma), en Sa Réalité Totale, est, d’après la terminologie hindoue, à la fois « Être et Non-Être » (Sadasat), « Manifesté et Non-manifesté » (Vyaktâvyakta), « Sonore et Silencieux » (Shabdâshabda), etc. (2) ; en d’autres termes, Il est Celui qui manifeste et Se manifeste, mais, également, Celui qui Transcende infiniment toute manifestation – « C’est le suprême Brahma, Sans-commencement, et dont on dit qu’Il n’est ni l’Être ni le Non-Être. (…) Manifesté à travers les propriétés de tous les sens, Il est pourtant dépourvu de tout sens. Détaché de tout, Il soutient toutes choses. Étranger aux Attributs, Il fait l’expérience des Attributs. Il est à l’extérieur et à l’intérieur des êtres, Immobile et Mobile à la fois. Inconnaissable de par Sa subtilité, Il est à la fois Lointain et Proche. Indivisible, Il paraît se répartir entre les êtres » (Bhagavad-Gîtâ, XIII, 12-16) (3).
Cette distinction fondamentale correspond à celle entre Nirguna Brahma ou « Brahma non-Qualifié », Principe Suprême supérieur à tout Attribut et sans relation aucune avec le kosmos en Son incomparable infinité, et Îshwara (« Seigneur »), qui est Saguna Brahma ou « Brahma qualifié », Principe déterminé en tant que «aProducteura» de l’Existence intégrale et, partant, doté d’Attributs (aishwarya) ou de Qualités (guna) par l’intermédiaire desquels Il va agir dans les mondes et Se manifester en eux
Cette doctrine de l’« Essence Une » et de la « Nature duelle » implique donc une double voie : l’affirmation ou l’« analogie » appréhende le Divin à partir de ce qu’Il est, la négation à partir de ce qu’Il n’est pas. Cette apparente symétrie n’implique cependant pas l’équivalence ; en effet, de même que l’Absoluité impersonnelle du Divin est « supérieure » à Son hypostase « tournée vers la manifestation » (c’est la raison pour laquelle Nirguna Brahma est désigné comme Para ou « Suprême », et Îshwara comme Apara ou « Non-Suprême » (4)), de même la « voie de négation » est supérieure à la « voie d’affirmation ». Nous pourrions dire également : comme Dieu est « plus » en Son Infinité, Son Incommensurabilité, Son Incomparabilité qu’en Ses rapports avec le fini, évoquer ce qu’Il transcende et L’éloigne du contingent est plus élevé qu’évoquer ce qui Le qualifie et Le rapproche du relatif – « C’est louer l’Infini d’une façon suréminente, de dire qu’Il n’est rien de ce qui existe » (5).
Ainsi, la via negativa ne parle du Principe qu’en termes de forme négative (Immuable, Incorruptible, Inconditionné, Inaltérable, Non-duel,...) (6), c’est-à-dire par négation de ce qu’Il n’est pas ou soustraction de Caractères, la «aSuper-Essentialitéa» (hyperousios) (7) du Suprême étant au-delà de toute condition, et, donc, de toute affirmation nécessairement limitative ; le Pseudo-Denys emploie à cet égard la métaphore du sculpteur qui, retranchant du bloc de marbre tout le superflu, dévoile les « formes internes » et « dégage la beauté latente ».
La via affirmativa, quant à elle, traite de la Déité en tant qu’Elle est «aPersonnellea» via des adjectifs de forme positive exaltant les Divines Perfections ; ainsi, par exemple, les ternaires « Sagesse – Force – Beauté » Maçonniques (les «aTrois Piliers du Templea») (8), et le Sachidânanda hindou (« Être – Conscience – Béatitude »), ou encore, d’après la tradition Islâmique, les sept « Attributs entitatifs » (aç-çifât al-ma‘ânî) et « qualitatifs » (ma‘nawiyah) d’Allâh : « Puissance, Science, Vie, Volonté, Ouïe, Vue, Parole » (9).
Cependant, toute affirmation est effectivement restrictive par nature, ce qui est une chose n’en étant pas sous le même rapport une autre (c’est là, bien sûr, ce qu’implique le fameux « principe de non-contradiction » aristotélicien), et cette tendance inévitable à l’exclusion est impropre à rendre compte de la Non-dualité Essentielle et de son Indépendance totale à l’égard de toute condition ; c’est pourquoi certains maîtres chrétiens n’ont pas hésité à dire que « rien de vrai ne peut être affirmé de Dieu ». Le retranchement d’attributions positives, quant à lui, apparaîtra alors comme la la négation de limites, et, partant, comme la plus haute et scrupuleuse...
K. R.
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Pour citer cet article :
K. R., « Voie positive et voie négative », Cahiers de l’Unité, n° 29, janvier-février-mars, 2023 (en ligne).
© Cahiers de l’Unité, 2023