Numéro 17
Janvier, février, mars 2020
édition brochée, 218 illustrations et photographies, couleur, papier couché 120 g, format 19x25, 112 p.
44 €
Revue d'études des doctrines et des méthodes traditionnelles
Cahiers de l’Unité
Constitution du Christianisme
et initiation chrétienne
PLAN
La nature exotérique du Christianisme
Les limites de la réalisation mystique
La possibilité d’une transmission initiatique
La clef de voûte de l’œuvre de René Guénon est la distinction entre ésotérisme et exotérisme, initiation et religion. Cette distinction éclaire notamment la présence de l’Hermétisme au sein du Catholicisme, mais aussi de l’Hésychasme au sein de l’Orthodoxie. Si l’Hésychasme est toujours vivant, la disparition de l’Hermétisme chrétien, ou du moins son inaccessibilité actuelle, pose une limite au Catholicisme, qui apparemment ne présente plus de possibilité de réalisation initiatique.
Frithjof Schuon a contredit ce constat en avançant que les sacrements chrétiens étaient à l’origine de nature initiatique et n’avaient pas changé de statut ultérieurement. Il s’appuyait sur la thèse, apparemment partagée par Guénon, d’une origine ésotérique du Christianisme (1). Pour Schuon, le Christianisme serait ainsi une voie initiatique devenue accessible à tous en raison de son extériorisation. Guénon a pris la plume pour s’opposer à cette théorie en réaffirmant la distinction entre ésotérisme et exotérisme. Un de ses arguments est notamment que l’Hermétisme, comme l’Hésychasme, constitueraient dans le cas contraire un « doublon » incompatible avec le Christianisme (2).
La réponse de Guénon laisse néanmoins subsister un problème. Comme Schuon, Guénon semble soutenir que le Christianisme était d’abord purement ésotérique, avant d’être extériorisé sous l’empire romain. Cette transformation serait le fruit d’une «rdescente providentielle », qu’il hésite cependant à dater (3). Elle remonterait soit à la conversion de Constantin, soit à la conversion de saint Paul (4). En l’état, cette thèse ne paraît pas concorder avec les Écritures de la tradition chrétienne, notamment les Actes des Apôtres ; Guénon reconnaissait d’ailleurs la complexité historique de cette question. C’est ce problème que nous souhaiterions modestement tenter d’éclaircir, car sa solution nous permettra sans doute de délimiter les possibilités de réalisation spirituelle au sein du Catholicisme.
La nature exotérique du Christianisme
Tout d’abord, la thèse d’une origine exclusivement ésotérique du Christianisme paraît difficilement conciliable avec d’autres aspects de la question. Michel Vâlsan, par exemple, a montré que le « déchirement du voile du Temple » avait une signification seulement exotérique, et non ésotérique (5). Le Temple de Jérusalem avait deux voiles : le premier séparait le Saint du Vestibule, le second séparait le Saint du Saint des Saints. Le Vestibule était réservé aux croyants ; le Saint était réservé aux prêtres ; le Saint des Saints était réservé au Grand-Prêtre. Selon Vâlsan, seul le premier voile fut déchiré. La signification, exotérique, est l’achèvement de l’Ancienne Alliance sous un certain rapport, ainsi que l’explique Saint Thomas d’Aquin : « Le mystère de la Rédemption s’est accompli dans la Passion du Christ ; c’est pourquoi le Seigneur a dit alors : Tout est consommé. Alors durent cesser les cérémonies légales parce que leur vérité venait de trouver leur consommation. En signe de cela, on lit que lors de la Passion du Christ le voile du Temple se déchira. En conséquence, avant la Passion pendant que le Christ prêchait et faisait des miracles, la Loi et l’Évangile existaient simultanément parce que le mystère du Christ était commencé, mais non consommé. C’est pour cette raison que le Christ commanda aux lépreux avant la Passion, d’observer les cérémonies légales » (6).
Cette interprétation correspond à l’Épître aux Hébreux, attribuée à saint Paul, qui décrit le sacrifice de Jésus comme un acte rituel achevant l’Ancienne Alliance d’une certaine ...
Gabriel Giraud
1. Dans son article sur les « Mystères christiques », Frithjof Schuon a déclaré que d’après certains membres du Soufisme – « comme l’enseigne les Soufis » écrivait-il – « le Christ n’a pas apporté d’exotérisme (sharî’ah), mais uniquement un ésotérisme (haqîqah) ». Pour Schuon, le Christianisme est ainsi ce « que l’on pourrait appeler provisoirement une “religion initiatique” si ce n’était là une contradiction dans les termes. » (F. Schuon, « Mystères christiques », Études Traditionnelles, n° 269, juillet-août 1948). Notons qu’Haydar Âmolî indiquait que « l’observance de l’Évangile signifie l’observance de ces sentences [celles de la Thorah] selon le sens ésotérique (bâtin) ». (Cf. Jâmi‘ al-Asrâr, § 1047, p. 511, H. Corbin et O. Yahia, éds., Téhéran, IFRI, 1969) De son côté, l’année suivante, dans son texte « Christianisme et initiation », René Guénon disait que la tradition islamique considère « le Christianisme primitif comme ayant été proprement une tarîqah, c’est-à-dire en somme une voie initiatique, et non une sharyah ou une législation sociale et s’adressant à tous ». On remarquera qu’à la différence de Schuon, il ne parlait pas du « Christ », mais du « Christianisme primitif ». D’ailleurs, en 1950, il écrivait à Michel Vâlsan : « Je crois qu’il n’y a malheureusement guère d’espoir que, en Suisse, le point de vue se modifie sensiblement ; il y a dans tout cela, et surtout dans les “Remarques” de Cuttat*, des choses singulièrement illogiques, comme vous l’avez d’ailleurs relevé dans votre réponse ; à ce propos je vous remercie tout de suite de m’en avoir envoyé la copie, et j’espère avoir bientôt la suite... Je n’ai pas besoin de vous dire que je pense la même chose que vous sur tout cela. [...] Au sujet de ce que vous me citez d’une lettre de Sh. A. [F. Schuon] il me paraît bien improbable que je sois amené à modifier, comme il le dit, mes conclusions sur ce qui concerne le Christianisme primitif, et en tout cas, si cela devait arriver, je crois que ce serait plutôt dans un sens se rapprochant du vôtre que du sien. Quant à la remarque que ce côté de la question n’a en somme qu’un caractère historique, je me souviens de l’avoir faite moi-même précédemment, mais je ne sais plus trop si c’est à Sh. A. lui-même ou à Cuttat que je l’avais écrit ».
* « J’ai reçu ces jours derniers une nouvelle lettre de Vâlsan, du 3 avril, dans laquelle il exprime les mêmes inquiétudes dont vous me parlez ; cela s’était même précisé encore à la suite du mauvais accueil qu’a reçu en Suisse son travail, et plus spécialement la 4e partie. Il semble que ce soit surtout Cuttat dont l’hostilité se manifeste le plus violemment, et je n’en ai pas été très surpris, car certaines des réflexions contenues dans la dernière lettre que j’ai reçue de lui me faisaient un peu prévoir cette attitude ; dans ces conditions, la “mission” dont il est chargé à son prochain passage à Paris, à ce qu’il paraît, n’est certainement pas bien rassurant... Tout cela est fort ennuyeux ; et ce qui est tout de même bien singulier, c’est que, de ce côté, on semble presque faire de cette question du caractère original du Christianisme et de la nature des sacrements une affaire “personnelle” ; malgré tout ce que j’avais déjà eu à constater en ce genre, je n’aurais tout de même pas cru que cela pouvait aller jusque là ! [...] Pour ma part, vous savez que je me suis toujours efforcé, autant que possible, de ne pas intervenir dans tout cela, préférant, même quand il me revenait des choses plus ou moins déplaisantes, faire comme si je ne m’en apercevais pas ; j’avais encore fait tout d’abord la même chose pour cette note des “Mystères christiques” m’attribuant, sans que j’en aie même été avisé au préalable, des intentions que je n’avais jamais eues, mais les réactions des lecteurs ne m’ont pas permis de garder indéfiniment le silence. Au fond, ce que je regrette dans cette affaire, c’est qu’elle menace d’avoir des conséquences désagréables pour Vâlsan, car, en ce qui me concerne, l’essentiel était de remettre les choses au point, et, après cela, ce que les uns et les autres peuvent penser ou dire de mes articles m’est en somme assez indifférent... » (Lettre de R. Guénon du 22 avril 1950)
2. René Guénon, Aperçus sur l’ésotérisme chrétien, ch. II : « Christianisme et Initiation ». « S’il y avait encore une initiation virtuelle (attachée aux sacrements), comme certains l’ont envisagé dans les objections qu’ils nous ont faites, et si par conséquent ceux qui ont reçu les sacrements chrétiens, ou même le seul baptême, n’avaient dès lors nul besoin de rechercher une autre forme d’initiation quelle qu’elle soit, comment pourrait-on expliquer l’existence d’organisations initiatiques spécifiquement chrétiennes, telles qu’il y en eut incontestablement pendant tout le moyen âge, et quelle pourrait bien être alors leur raison d’être, puisque leurs rites particuliers feraient en quelque sorte double emploi avec les rites ordinaires du Christianisme ? » (Ibid.)
3. « Il serait probablement impossible d’assigner une date précise à ce changement qui fit du Christianisme une religion au sens propre du mot et une forme traditionnelle s’adressant à tous indistinctement ; mais ce qui est certain en tout cas, c’est qu’il était déjà un fait accompli à l’époque de Constantin et du Concile de Nicée, de sorte que celui-ci n’eut qu’à le “sanctionner”, si l’on peut dire, en inaugurant l’ère des formulations “dogmatiques” destinées à constituer une présentation purement exotérique de la doctrine. » (« Christianisme et initiation »)
4. « Peut-être faut-il admettre que l’“extériorisation” a commencé dès que le Christianisme s’est répandu hors du milieu judaïque, donc très tôt, puisque cela pourrait être en rapport avec l’activité de saint Paul lui-même... » (Lettre de René Guénon du 9 janvier 1950)
5. Michel Vâlsan, « L’Initiation chrétienne. Réponse à M. Marco Pallis », Études Traditionnelles (n° 389-390), mai-juin, juillet-août 1965.
6. Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia IIae q. 103, art. 3, ad 2m.
7. ...
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Dans le texte hébreu, le Voile extérieur du Vestibule (cachant le « Saint », Hekâl), au décor cosmique, et accessible seulement aux prêtres, est appelé Masak, tandis que le Voile intérieur du « Saint des Saints » (Debîr) est appelé Paroketh. Masak évoque l’idée d’un écran qui arrête le regard, Paroketh, celle de séparation et de mise à part. Le Grand-Prêtre ne pénétrait qu’une fois par an, le jour de Yom Kippour, derrière le Paroketh. Avec la disparition de l’Arche d’Alliance au début du VIe siècle avant J.-C. on comprend que le rideau extérieur ait pris plus d’importance que le rideau intérieur, invisible au public. Pour saint Thomas d’Aquin, c’est seulement lors de la Parousie que le Voile intérieur sera symboliquement déchiré : « Quand viendra ce qui est parfait (I Cor., 13, 10), alors le voile intérieur, lui aussi, devra se déchirer, pour que nous puissions voir tout ce qui nous reste caché, les Mystères de la Maison de Dieu ». Ce qui désigne la manifestation extérieure du Centre suprême.
Les sept sacrements
(image pieuse du XIXe s.)
Le Saint-Esprit par Jean Colombe,
Livres d’heures de Louis d’Orléans, 1469.
La Passion est la raison d’être de la manifestation
du Saint-Esprit.