Numéro 17
Janvier, février, mars 2020
édition brochée, 218 illustrations et photographies, couleur, papier couché 120 g, format 19x25, 112 p.
44 €
Revue d'études des doctrines et des méthodes traditionnelles
Cahiers de l’Unité
PLAN
La zone médiane de la pyramide
Marguerite Ebner, Christine Ebner, Elisabeth Stagel
Heinrich de Nördlingen
La base de la pyramide
Texte autographe d’Elizabeth Stagel
Tombeau de Margareta Ebner
Monastère Maria Medingen ,
Mödingen
Regnabit
Archives G. Pierozak
La zone médiane de la pyramide
En dessous des quatre maîtres, Eckhart, Ruysbroeck, Tauler et Suso que nous venons d’évoquer, et que nous avons situés au sommet d’une pyramide symbolisant la descente d’une influence spirituelle réformatrice du catholicisme romain, nous trouvons quelques personnages dont l’activité fut très importante pour la constitution et la vivification du mouvement des Amis de Dieu. Le fait de les placer dans cette zone intermédiaire ne signifie pas que leur rôle fut négligeable, mais simplement que leur influence ne peut prétendre à l’extension qui fut celle des quatre Maitres évoqués précédemment.
Marguerite Ebner, Christine Ebner, Elisabeth Stagel (1)
Notre but, dans ce qui suit, n’étant pas de développer des considérations historiques détaillées que le lecteur trouvera aisément dans les ouvrages spécialisés auxquels nous avons fait référence précédemment, nous nous en tiendrons à quelques éléments permettant de situer les personnages qui suivent.
Nous avons été amené à évoquer antérieurement les deux visionnaires Marguerite Ebner (1291- 1351, béatifiée en 1979 par Jean-Paul II) et Christine Ebner (1277-1356).
On a pu lire ici ou là qu’elles étaient sœurs, puis plutôt cousines (2) et que, finalement, elles n’étaient pas parentes, mais simplement homonymes (3). Ces deux dominicaines, qui moururent en odeur de sainteté, ont rencontré Heinrich de Nördlingen et ont correspondu avec lui, surtout Marguerite. Elles entretinrent aussi, par les Amis de Dieu, des liens spirituels profonds avec Tauler. Sur le conseil de leurs entourages respectifs, elles consignèrent leurs expériences personnelles et, parmi ces dernières, des visions parfois impressionnantes. C’est ainsi que le Christ lui-même offrit à Marguerite Ebner à boire son sang de la plaie du côté, ce qui pour certains témoigne d’une orientation vers le Sacré Cœur. On pourrait évoquer aussi à ce propos le symbolisme du Graal (4). Les Révélations de Marguerite Ebner font souvent l’éloge des “Amis de Dieu”. Le Christ lui-même, sollicité par elle pour savoir ce qu’il pense d’une manière générale des “Amis de Dieu”, lui répond : « Ils me sont chers, de par l’amour qu’ils me donnent » (5).
Pour B. Gorceix (6), la lecture des Révélations et des épîtres de Margaretha Ebner « nous confirme tout d’abord l’existence de tout un réseau de prêtres, de moines, de laïcs qui gravitent, durant cette première moitié du XIVe siècle, autour des fondations bénédictines, cisterciennes, mais surtout dominicaines ; les mêmes certainement qui ont été durant les mêmes années les auditeurs de Maître Eckhart peut-être, de Tauler et de Suso à coup sûr. »
Il n’est pas aisé de classer les deux dominicaines dans une catégorie spirituelle définie : relèvent-elles d’un “mysticisme” non initiatique, au sens où René Guénon l’entend, ou sont-elles l’expression d’autre chose ? On pencherait plus facilement vers la première hypothèse au regard du “style” de leurs révélations, qui est d’ailleurs très éloigné de la sobre doctrine d’Eckhart peu encline aux épanchements “sentimentaux” et “phénoménaux”. Cependant, on peut légitimement se poser la question suivante : avaient-elles reçu autre chose grâce à leur participation à la confrérie des Amis de Dieu, considérée par René Guénon, rappelons-le, comme une organisation ésotérique, et disposant d’une initiation et d’une guidance spirituelle ainsi que notre travail le montrera ? La deuxième hypothèse nous semble la plus probable. Quoi qu’il en soit, les informations transmises par des visionnaires, mystiques ou non, peuvent se révéler utiles dans la mesure où l’on possède une clef d’interprétation symbolique rigoureuse. C’est ainsi que René Guénon a utilisé les visions d’Anne-Catherine Emmerich à des endroits importants de son œuvre (7).
Élisabeth Stagel fut la fille spirituelle de Suso et elle participa à l’élaboration de sa Vita. Elle rassembla les lettres de celui dont elle reçut une éducation spirituelle, lettres qui furent intégrées dans l’Exemplar que nous avons évoqué précédemment.
Rulman Merswin
Avec Rulman Merswin (env.1307-1382) (8) nous entrons dans ce qui fait la principale caractéristique du mouvement des Amis de Dieu : son expansion chez les laïcs. Bernard Gorceix (9) a raison d’écrire que « Le chapitre le mieux connu et le plus sûr de l’histoire des Amis de Dieu de la seconde moitié du XIVe siècle concerne les destinées [de ce] banquier strasbourgeois et de la commanderie de Saint-Jean de Jérusalem », mais il aurait pu tout aussi bien ajouter qu’avec Rulman Merswin naît la grande énigme de “L’Ami de Dieu de l’Oberland” qui a tant divisé les historiens, et dont aurons à reparler plus loin.
L’activité de la famille de ce banquier ne s’est pas limitée à Strasbourg puisque son père Jean Merswin fut banquier des Papes d’Avignon. Vers quarante ans, en 1347, cet homme aisé et influent se retire du monde, renonçant à son activité extérieure, pour mener une vie d’ascèse. À la même époque il choisit Jean Tauler comme Maître spirituel qui lui conseille, pour préserver sa santé physique et mentale, de modérer son ascèse. En 1366 il sort de sa retraite et achète un vieux monastère délabré, sur une île formée par différents bras de la rivière l’Ill et qui, du fait de son aspect sauvage, était appelée l’“Île Verte” (das Grüne Woerth) ce qui renvoie à un symbolisme bien connu des lecteurs de René Guénon (10).
L’intention était de créer en ce lieu « une maison de refuge où pourraient se retirer tous les hommes honnêtes et pieux, laïques et ecclésiastiques, chevaliers écuyers ou bourgeois, qui désiraient fuir le monde et se consacrer à Dieu, sans cependant entrer dans un ordre monastique. Ils devaient y vivre de leurs propres deniers, en toute simplicité et honnêteté » (11). Ce refuge devait être le « nid préparé à l’avance par le seigneur pour y cacher et préparer les siens » selon l’espérance de Tauler (12).
La nouvelle “maison” fut d’abord partagée par des laïcs et des prêtres séculiers qu’il fut question de remplacer par des moines, mais finalement ce furent des chevaliers de l’Hôpital de...
Steffen Greif
(À suivre)
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Pour citer cet article :
Steffen Greif, « Les Amis de Dieu», Cahiers de l’Unité, n° 12, octobre-novembre-décembre, 2018 (en ligne).
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