top of page

Les Fils de Noé, au cœur du déluge 

Cahiers Villard de Honnecourt N° 103

Cahiers Villard de Honnecourt N° 103

Chaos ab ordine
Remarques complémentaires sur une publication
de lettres de René Guénon
dans les
Cahiers Villard de Honnecourt

PLAN

Plan

           Dans la précédente livraison des Cahiers de l’Unité nous avons fait quelques remarques concernant la publication de la « Correspondance inédite de René Guénon à Marcel Maugy, alias Denis (sic !) Roman », qui a commencé dans le n° 101 des Cahiers Villard de Honnecourt. M. Bruno Pinchard, l’un des deux directeurs de la rédaction, apporte enfin de brefs renseignements au sujet de cette édition dans le n° 103 de cette revue, p. 89. Nous en reprenons les passages les plus significatifs, et les accompagnons de quelques remarques

           

La prétendue nécessité de l’édition des lettres de Guénon à Maugy dans les Cahiers Villard de Honnecourt

 

                  Selon M. Pinchard, « cette publication d’une correspondance inédite de René Guénon suscite déjà de nombreux commentaires », ce qui « suffit à vérifier combien elle était nécessaire. » Il est tout de même surprenant d’apprendre que la nécessité d’une telle édition de ces lettres serait « vérifiée » par les réactions qu’elle occasionne. N’est-ce pas en elle-même que chaque édition des inédits de René Guénon présente de l’intérêt ? Encore faut-il qu’elle soit établie à partir des manuscrits autographes, ou, à tout le moins, sur des copies de ces manuscrits. C’est sur de telles bases que nous avons publié dans trois revues, dont celle-ci, plusieurs inédits de René Guénon, totalement inconnus auparavant (1). Bien entendu, il incombe à l’éditeur de veiller à ce qu’il n’y ait ni erreur de saisie ni faute quelconque dans le document qu’il publie.

              Si on fonde une édition d’un inédit sur d’autres bases, on risque de dénaturer plus ou moins l’enseignement de Guénon, et d’en modifier certainement la forme voulue par lui. C’est ce qui est arrivé à l’ouvrage que M. Alessandro Grossato publia en 2001 sous le titre de Psychologie, qu’il considérait pourtant comme étant « un inédit vraiment important » (p. 12), et donc « sans hésitation très digne de publication » (p. 11). Mais ce n’est qu’à partir d’un « texte dactylographié de 127 pages » (p. 12), que de très rares lecteurs connaissaient, que cette édition a été faite. En nous référant, à l’époque, aux deux versions autographes du Cours de Philosophie de Guénon (2), nous avons pu apporter les précisions qui s’imposaient et effectuer bien des rectifications, notamment à propos de nombre d’affirmations contenues dans l’« Introduction » de ce livre (3). Nous avons en outre établi une édition critique de trois chapitres de la partie « Psychologie » de ce Cours, ce qui a permis aux lecteurs d’apprécier la différence qui existe entre une édition établie à partir d’une version sujette à caution et celle faite à partir des originaux.

         Maintenant, quel est le contenu de ces « nombreux commentaires » dont parle M. Pinchard ? Probablement s’agit-il de ceux qui ont été adressés à la revue. De notre côté, grâce à une aimable communication de la Direction de notre revue, nous avons eu connaissance qu’un Maçon possédant des copies des lettres manuscrites de René Guénon à Marcel Maugy, après avoir vérifié l’absence de conformité de l’édition de cette correspondance dans les Cahiers Villard de Honnecourt par rapport aux documents dont il dispose, avait transmis ses « commentaires » pour protester contre l’état lamentable de cette publication, en joignant aussi des « Errata » afin que la Direction de la revue maçonnique se rende compte de l’étendue des dégâts. En outre, nous savons que plusieurs personnes, qui sont en accord avec les observations contenues dans notre texte, ont demandé d’interrompre ladite publication. Nous ne pouvons que soutenir de telles démarches. On se demandera alors en quoi les « commentaires » du Maçon précité et ceux de nos lecteurs suffisent « à vérifier » la nécessité de la publication fautive des lettres de Guénon, ainsi que l’affirme M. Pinchard, puisque, précisément, leurs auteurs s’opposent à cette édition ? Dans cette affaire, ce dernier ne paraît pas trop soucieux de logique ni, semble-t-il, de vérité. Enfin, si certains ont écrit à la revue maçonnique pour signifier qu’ils approuvaient la publication en question, dans la mesure où ce qui est en cause est l’édition de lettres de René Guénon, nous nous permettrons de leur demander quel est leur degré de compétence en cette matière ?

           D’autre part, et dans le domaine public cette fois, en dehors de nos remarques, nous ne connaissons à ce jour que ce que M. André Bachelet a mis en ligne sur un site internet en juillet 2017 (4). Dans un court texte, il critique « les exactions qui sont à l’origine de ces diffusions jusqu’aux modifications toujours plus dénaturantes des contenus de cette correspondance », « des versions toujours plus corrompues, dont certaines jusqu’au grotesque ». Il met d’autre part en cause « les droits de René Guénon qui ont été bafoués sans vergogne, à commencer par le droit moral attaché à sa personne, à son nom, à ses qualités et fonction traditionnelle, et qui est un droit perpétuel, inaliénable et imprescriptible, dont fait partie le droit au respect de l’intégrité de ses écrits, tout aussi fondamental en terme de paternité » (c’est nous qui soulignons).

                  On notera encore que, dans le cas de Psychologie, nous avions affaire à l’édition d’un document quasiment inconnu. Mais en est-il de même avec la publication en cours, dans une revue maçonnique, des lettres adressées par Guénon à Maugy ? La réponse ne peut être que négative : si les copies des lettres manuscrites se transmettent plus ou moins confidentiellement, plusieurs versions dactylographiées et numérisées circulent plus largement depuis bien des années – nous en connaissons quatre. De plus, il faut tenir compte désormais des versions accessibles à tous sur l’Internet. Il nous faut constater, pour le regretter, que ces diverses versions dactylographiées, numérisées et mises en ligne sont toutes fautives, et, même si elles se distinguent les unes les autres sur certains points, elles reproduisent bien souvent les mêmes fautes et erreurs. Celle que les Cahiers Villard de Honnecourt publient n’échappe pas à la règle. Elle n’était donc aucunement « nécessaire », malgré ce qu’affirme M. Pinchard, puisqu’elle est par trop défectueuse, et que chacun peut en lire et télécharger d’autres qui lui sont similaires sur l’Internet.

            Nous nous permettrons une remarque d’ordre général concernant les versions altérées des correspondances dont nous venons de parler, ainsi que les documents dactylographiés inédits attribués à René Guénon. Pour les premières, il serait temps de ne leur accorder aucune valeur, aucun intérêt, précisément parce qu’elles sont corrompues. Pour les seconds, la plus grande circonspection s’impose quand on nous en présente un nouveau, puisqu’on n’en connaît généralement pas l’origine véritable. Si l’on veut savoir si on a affaire à des lettres et documents auxquels on peut accorder en toute confiance crédit, il faut que ces lettres et documents soient accompagnés au moins de fac-similés partiellement reproduits, à défaut de l’être intégralement : cela atteste de la bonne foi de l’éditeur, et donne toutes les garanties aux lecteurs (5). Pour des raisons qu’on ne peut développer ici, cette remarque devrait concerner aussi les textes publiés par René Guénon lui-même, quand on souhaite en donner une nouvelle édition (6).

               Il est d’ailleurs très singulier qu’on se permette de remanier et défigurer ainsi nombre de textes inédits de René Guénon, profitant du fait qu’on ne peut bien souvent se référer aux originaux, ou à leurs copies. Si quelqu’un s’aventurait à se conduire de même avec les écrits de n’importe quel écrivain “profane”, les “spécialistes” de l’auteur en question ne manqueraient certainement pas d’intervenir à juste titre pour que de tels agissements cessent immédiatement, et ces façons blâmables d’opérer s’arrêteraient bien vite. Les publications et diffusions des inédits de René Guénon, sous une forme ou une autre, elles, jouissent d’une indifférence à peu près totale, rares étant ceux qui sont à même de pouvoir discriminer entre une version fidèle aux originaux méritant d’être prise en considération et des copies frelatées. Il est urgent et nécessaire de s’insurger contre leur banalisation et impunité. Nos remarques précédentes « sur une publication de lettres de René Guénon dans les Cahiers Villard de Honnecourt », comme celles que nous faisons maintenant s’inscrivent dans cette perspective qui vise à essayer de concourir sinon à leur disparition, pour autant que ce soit possible, du moins à leur limitation. Comme nous l’avons déjà dit, quiconque possède véritablement un esprit traditionnel se doit de donner les sources exactes des textes de René Guénon qu’il édite ou met en ligne ; cela fait partie des exigences de rigueur et de convenance traditionnelle.

​

Une édition trompeuse

 

                « Pour éviter tout malentendu », M. Pinchard précise « dans quel esprit » il a entrepris « de faire connaître ces dernières remarques du Maître du Caire sur la Franc-Maçonnerie traditionnelle. » On s’étonnera tout d’abord qu’il ait fallu attendre la troisième livraison de cette correspondance pour connaître enfin l’« esprit », ou, plus exactement, la mentalité avec laquelle cette édition a été faite. Pourquoi les lecteurs n’ont-ils pas été préalablement informés, dès le n° 101, que c’était seulement à partir d’une version ronéotée que cette édition avait été établie ? Comme nous l’avons déjà signalé, le fait que c’est M. François Geismann, conservateur de la bibliothèque de la Grande Loge Nationale Française, qui avait communiqué ces lettres provenant du fonds René Guénon de cette Obédience, semblait offrir « a priori toutes les garanties voulues pour cette publication » (p. 85). Comment le lecteur pouvait-il supposer que ce fonds René Guénon n’est pas constitué des originaux ou, au moins, de copies établies d’après les originaux des lettres en question ?

            De plus, les reproductions de la signature de Guénon dans deux numéros (7), ainsi que le fac-similé d’une lettre éditée dans le n° 102 (8), tous ces éléments mis ensemble ne pouvaient que suggérer au lecteur que l’édition en question avait été faite sur les originaux, et avec sérieux, rigueur et fidélité, comme on s’y attend dans une revue de qualité qui fit paraître, il y a bien longtemps, d’excellentes traductions des Old Charges. Malheureusement, aucun lecteur de ces lettres publiées ne pouvait se rendre compte que tel n’était pas le cas. Comme nous, ils ont été abusés. Certains parlent même de malhonnêteté ou de tromperie… De notre côté, il est évident que nous aurions rédigé de tout autres remarques si nous avions eu connaissance de ce que nous apprend enfin M. Pinchard. « Pour éviter tout malentendu », il eût été préférable de prévenir plutôt que de tenter de se justifier après avoir commis une telle édition. Croit-on, d’autre part, que ce petit texte de M. Pinchard redonnera confiance aux lecteurs de la revue qui ont été ainsi dupés ?

 

Un trésor de pacotille

 

          M. Pinchard ne prétend pas avoir établi « une édition scientifique », mais seulement avoir fait « connaître un des trésors » de la bibliothèque  de la Grande Loge Nationale Française, « non pas les lettres originales de René Guénon à Denys Roman, mais une copie simplement ronéotée de celles-ci, oubliée dans notre fonds et retrouvée par hasard », dont il ne connaît ni ...

 

                                                                                        P. B.

prétendue
R N 5 6
trompeuse
RN 7 8
RN 4
RN 1
RN 2 3
Citation

Pour citer cet article :

P. B., « Chaos ab ordine. Remarques complémentaires sur une publication de lettres de René Guénon dans les Cahiers Villard de Honnecourt Â»Cahiers de l’Unité, n° 7, juillet-août-septembre, 2017 (en ligne).

 

© Cahiers de l’Unité, 2017  

bottom of page