Numéro 17
Janvier, février, mars 2020
édition brochée, 218 illustrations et photographies, couleur, papier couché 120 g, format 19x25, 112 p.
44 €
Revue d'études des doctrines et des méthodes traditionnelles
Cahiers de l’Unité
PLAN
(Suite de l’article paru dans le précédent numéro - n° 25)
L’ashram de Pondichéry (suite) : Mirra Alfassa
Max Théon et le Mouvement cosmique
L’association de Mirra Alfassa avec le couple Théon
Liaison, scandale, divorce, et mariage avec Paul Richard
La rencontre de Mirra Alfassa et Aurobindo
L’Arya
La Société du Dragon noir
La mission secrète de Paul Richard
La « Mère » de l’ashram
Le retrait d’Aurobindo
L’inquiétante métamorphose de l’ashram
Une explication : la « passivité » de Mirra Alfassa
Le désaveu final de Sri Aurobindo
La Seconde Guerre Mondiale
La fonction régissante de Sri Aurobindo
La mort d’Aurobindo
L’ashram de Pondichéry (suite)
Mirra Alfassa
Nous l’avons vu, c’est en 1914 que Mirra Alfassa fit son premier voyage à Pondichéry, où elle séjourna environ six mois, avant de revenir s’y établir définitivement en 1920, ce qui devait la conduire plus tard à assumer la direction et l’organisation de l’ashram d’Aurobindo, après le retrait définitif de celui-ci de toute action extérieure à la fin de l’année 1926. Pour comprendre l’évolution postérieure de l’ashram, nous allons maintenant nous attacher à présenter l’histoire et la personnalité de Mirra Alfassa.
Une jeunesse parisienne
Mirra Blanche Rachel Alfassa est née le 21 février 1878 à Paris, d’un père turc, banquier de profession, et d’une mère égyptienne. Ses deux parents étaient d’origine juive, et avaient émigré en France quelques mois avant sa naissance – ils obtiendront la nationalité française en 1890. Après une enfance bourgeoise, sa formation sera essentiellement artistique : à l’âge de quinze ans, elle entre à l’académie de peinture Julian. Cela la conduira à épouser en 1897 le peintre Henri Morisset, élève de Gustave Moreau, et à fréquenter rapidement tout le milieu artistique de l’époque, tant dans le domaine de la peinture et de la sculpture que dans celui de la musique et de la littérature.
Les artistes n’étaient cependant pas ses seules fréquentations. Un grand nombre d’expériences psychiques pour le moins inhabituelles la conduisirent dès sa jeunesse à s’intéresser à la fois à l’occultisme et à ce qu’elle imaginait être le domaine spirituel, et à mélanger allègrement les deux, mélange que le contexte du Paris de la Belle-époque facilitait largement.
Depuis l’enfance, conséquence de facultés naturelles et spontanées, elle connaissait des expériences déroutantes pour son milieu. Elle prétendra avoir eu la sensation d’une « Conscience » au-dessus de sa tête dès cette époque, pouvant descendre sur elle dans un flot de félicité lorsqu’elle se concentrait dessus. Vers le même âge, elle entrera parfois dans une sorte de transe, en plein milieu d’une phrase ou d’un geste. Elle grandira comme une enfant absorbée en elle-même et semblera capable de prédire à ses parents des évènements à venir ou des faits inconnus d’elle. À l’adolescence, elle est atteinte pendant quelques années de somnambulisme et écrit des poèmes d’un trait à son réveil. Dans ses récits postérieurs, elle dira également avoir été capable, en lisant des livres d’histoire, de décrire avec précision des scènes historiques, tout comme elle aurait « vu » la solution de problèmes que son frère Mattéo était incapable de résoudre lorsqu’il préparait Polytechnique, alors même que ses connaissances en mathématiques étaient plus que rudimentaires... Vers l’âge de treize ans, elle « sort de son corps » la nuit, faculté qu’elle conservera et dont Aurobindo confirmera la véracité dans une lettre. Dans ses « visions » figure également un homme vêtu « à l’indienne » dont l’image lui apparaît régulièrement pendant plusieurs années ; vingt ans plus tard, lors de son arrivée à Pondichéry, elle dira avoir reconnu en lui Aurobindo (1). Ses facultés « médiumniques » paraissent incontestables. Rappelons toutefois à ce sujet que « les “pouvoirs” psychiques sont, chez certains individus, quelque chose de tout à fait spontané, l’effet d’une simple disposition naturelle qui se développe d’elle-même ; il est bien évident que, dans ce cas, il n’y a point à en tirer vanité, pas plus que d’une autre aptitude quelconque, puisqu’ils ne témoignent d’aucune “réalisation” voulue (...) ce sont bien des possibilités de l’être, mais des possibilités qui n’ont rien de “transcendant”, puisqu’elles sont tout entières de l’ordre individuel, et que, même dans cet ordre, elles sont bien loin d’être les plus élevées et les plus dignes d’attention » (2).
Ces facultés ne sauraient donc être confondues en aucune façon avec une réalisation spirituelle à quelque degré que ce soit. D’autre part, par la « passivité » qu’implique leur caractère « réceptif », elles servent au contraire souvent à rendre accessible à toutes sortes de suggestions et d’« influences errantes » ressortant de la partie inférieure du domaine subtil.
Assez logiquement, ces expériences psychiques, survenues de façon incontrôlable et désordonnée au cœur d’un milieu matérialiste, l’amenèrent à entrer en contact avec ceux qui prétendaient alors être en mesure de les expliquer. C’est ainsi qu’elle fut conduite à rencontrer le milieu occultiste parisien, ainsi qu’un certain « orientalisme ».
Après la naissance de son fils André, en 1898, ses fréquentations artistiques l’orientèrent d’abord vers Mme Fraya, voyante qui devait devenir célèbre au début du siècle pour avoir donné des consultations à la plupart des politiciens en vue de l’époque : Briand, Clemenceau, Jaurès, Daladier, Poincaré... Lors du déclenchement de la Première Guerre Mondiale, en septembre 1914, elle aurait même été appelée en hâte au Ministère de la Guerre pour dire si les Allemands, qui progressaient rapidement, allaient entrer dans Paris ; elle répondit qu’ils seraient obligés de se replier derrière l’Aisne le 10 septembre, ce qui s’avéra exact (3).
Dans le même temps, Mirra Alfassa-Morisset eut son premier contact avec une certaine image de l’Hindouisme par Jnanendranath Chakravarti, membre de la Société Théosophique, qui avait accompagné Annie Besant en 1893 au Parlement mondial des religions de Chicago. Alors qu’il était de passage à Paris, elle s’adressa à lui pour demander conseil sur le plan spirituel, et celui-ci lui donna un exemplaire de la Bhagavad-Gîta. Si cet ouvrage lui fit une forte impression, dira-t-elle, elle ne se plongea pas pour autant dans l’étude de l’Hindouisme et de ses textes sacrés... Lors de la relecture magnifiée des épisodes de sa vie passée à l’attention de ses admirateurs, elle dira qu’elle fut alors persuadée que l’être vêtu « à l’indienne » qu’elle voyait quelquefois était son Guru et qu’elle le rencontrerait un jour.
Enfin, au début des années 1900, elle fit la connaissance de Louis Moyse (1875-1943), connu sous le nom de Louis Thémanlys, un ami de son frère, et un habitué de la librairie Chacornac où il avait découvert la Revue cosmique, publication mensuelle du « Mouvement cosmique » de Max Théon. Thémanlys et sa femme Claire réussirent alors à convaincre Mirra Alfassa-Morisset que Max Théon était le maître qu’elle recherchait…
Ce survol de la jeunesse de Mirra Alfassa nous la montre donc comme une personnalité ayant des facultés psychiques spéciales se manifestant de façon anarchique, mais dépourvue de toute structure intellectuelle, fréquentant un milieu réceptif aux idées alors en vogue et aux influences pseudo-initiatiques, et engagée dans la recherche naïve d’un maître. Il va sans dire que ces dispositions ne la plaçaient pas dans une situation favorable sur le plan spirituel, bien au contraire, et le personnage qu’elle allait maintenant rencontrer allait la marquer autant que le fera Aurobindo, mais d’une façon sans doute plus définitive.
Max Théon et le Mouvement cosmique
Avant d’en venir à l’association qui se fit entre Mirra Alfassa-Morisset et Max Théon, il nous faut présenter brièvement celui-ci et le mouvement à la tête duquel il se trouvait alors. Les lecteurs de René Guénon connaissent déjà son nom, puisqu’il l’a notamment cité...
Benoît Gorlich
(À suivre)
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Mirra Alfassa
au début du XXe siècle
Madame Fraya
(Valentine Dencausse)
1871-1954
Louis et Claire Thémanlys
Max Théon