Numéro 17
Janvier, février, mars 2020
édition brochée, 218 illustrations et photographies, couleur, papier couché 120 g, format 19x25, 112 p.
44 €
Revue d'études des doctrines et des méthodes traditionnelles
Cahiers de l’Unité
Nouveaux éclairages sur Ivan Aguéli
Lettre écrite en arabe par Ivan Aguéli, 1911
PLAN
III - Lettres d'Aguéli à Guénon : personnages cités et thèmes récurrents
Dans l'entourage de La Gnose
a) Marie Chauvel de Chauvigny/Esclarmonde
b) Léon Champrenaud/Théophane/Abdul-Haqq
c) Eduardo Moronti/Abdul-Halîm
Marie Huot
(1846-1930)
Pour cette photograhie, voir la note 4 de cet article
Portrait de Marie Huot par Aguéli
Première page d’une lettre de Ivan Aguéli à Marie Huot (29 novembre 1903)
Acte de naissance de Marie Huot
Marie Huot
Gauffin a traduit en suédois nombre de lettres, ou extraits de lettres échangées entre Aguéli et Marie Huot, provenant des malles ou coffres que le Prince Eugène avait rapportés de chez cette dernière, alors qu’elle habitait rue Dauphine, à Paris (1). Toutefois, l’édition de cette correspondance, établie sur les originaux écrits en français qui se trouvent actuellement en Suède, n’a toujours pas été faite, et seuls les lecteurs connaissant le suédois y ont donc accès par l’intermédiaire du livre de Gauffin (1bis).
Le court chapitre V du premier volume de cet ouvrage donne quelques indications biographiques concernant Marie Huot. On y apprend qu’« Elle est née dans la ville de Tonnerre en 1846 d’une vieille famille appelée de Baon, d’origine espagnole, et probablement de descendance sarrasine » (2). Ailleurs, Gauffin indique qu’il a trouvé parmi les documents du fonds Huot « des notes griffonnées au crayon au dos d’un prospectus publicitaire pour “L’Éternelle Jeunesse ‒ L’Éternelle Beauté, Madame Debaon, 13 rue du Vieux-Colombier, Paris VIe (Discrétion)” » (3). À l’appui de ce dernier passage, sur un site internet, un auteur reprend à son tour le fait « que Debaon (ou : de Baon) est le nom de jeune fille de Mme Huot, du nom du village près de Tonerre [sic !] (Yonne). »
Les informations concernant l’origine espagnole, voire sarrasine de Marie Huot, dont Gauffin fait état, proviennent en fait d’une notice d’Alphonse Séché parue dans Les Muses françaises. Anthologie des femmes-poètes (XXe siècle) (4). Reprenons-la intégralement : « Quoi que puisse écrire Mme Marie Huot, son œuvre restera toujours au-dessous du haut pittoresque qui s’attache à sa vie et à sa personne. ‒ Née à Tonnerre, en 1846, elle descend, par son père, d’une très ancienne famille, les de Baon, grande lignée espagnole d’origine probablement sarrasine. Par sa mère, elle est alliée aux Trubert d’Ancy-le-Franc. À l’hospice de Tonnerre l’on voit la statue de marbre blanc d’un de ses aïeux, secrétaire et conseiller de Louvois. ‒ La vie de Mme Marie Huot a été très agitée ; c’est que Mme Huot possède une âme d’apôtre ; elle est persuadée qu’elle a une mission à accomplir sur cette terre et elle s’y est consacrée avec l’enthousiasme et l’opiniâtreté des croyants… et des femmes ! Mme Marie Huot s’est instituée la grande amie et protectrice des animaux. Elle a mené des campagnes anti-vivisectionnistes qui firent beaucoup de bruit dans leur temps et, non contente de défendre ses idées par la parole, Mme Huot ne craignit pas d’en venir aux actes. En 1886, un jour que Pasteur présidait, à la Sorbonne, une conférence sur la découverte de la prophylaxie de la rage, elle proteste si énergiquement que, sans M. de Lesseps qui prit sa défense, les deux mille étudiants présents lui eussent fait passer un fort mauvais quart d’heure ; un autre jour, au collège de France, elle se précipite sur le professeur Brown-Séquard, au moment où il s’apprêtait à viviséquer un singe, et le larde de coups d’ombrelle. Une autre fois, c’était en 1899, en compagnie d’un peintre suédois, elle se rend aux Arènes de Deuil, près d’Enghien, où on avait organisé des courses de taureaux, et blesse à coups de revolver deux toréadors. À la suite de ce “geste”, les courses furent interdites. Mme Marie Huot a encore donné aux bêtes des preuves de sa maternelle sollicitude en fondant, en France, les premiers refuges d’animaux. J’ajouterai que Mme Huot est végétarienne et disciple convaincue de Malthus ‒ encore que, sur ce dernier point, ce soit surtout au profit de son idéal zoophile que la doctrine malthusienne l’intéresse.
“Il est entendu ‒ m’écrit-elle ‒ que je suis personnage excentrique et le docteur Magnau m’a même classée dans ses dégénérés supérieurs ‒ ça console !”
À lire ses vers, on a l’impression que Mme Marie Huot a l’âme triste, assolée et pleine d’un vague ennui. Sans indulgence pour l’humanité et l’égoïsme des hommes, toute sa tendresse c’est sur les bêtes qu’elle la reporte. Les bêtes ‒ les chats ‒ lui inspirent des vers qui ne sont pas toujours à vrai dire, sans naïveté… Certaines pièces cependant, comme les Litanies des bêtes, par exemple, sont pour le moins curieuses.
Mme Marie Huot possède un métier très sûr. Son talent descriptif et la plastique de sa forme l’apparentent aux parnassiens ; son goût pour l’expression rare et son pessimisme douloureux font un peu songer à Baudelaire » (5).
Nous nous contenterons de revenir sur plusieurs points de cette notice. Ce qui surprend tout d’abord, c’est que son auteur déclare que Marie Huot viendrait « d’une vieille famille appelée de Baon » ; d’où tient-il cette information ? Aucune source documentaire n’étant fournie, on pourrait se demander si ce n’est pas Marie Huot elle-même qui le lui aurait dit, et qui aurait aussi fait état à l’occasion de sa « grande lignée espagnole d’origine probablement sarrasine ». Certains des traits de caractère de Marie Huot pourrait donner quelques fondements à cette hypothèse… Faute de données précises sur cette question, nous nous contenterons d’affirmer, sans crainte d’être démenti, que le nom de famille de “Mathilde, Marie, Constance” est “Ménétrier”(6), comme l’atteste l’extrait d’acte de naissance que nous reproduisons (7). C’est à Baon, petite commune située à l’est de Tonnerre, qu’est né son grand-père paternel.
En fait, c’est Abdul-Hâdi lui-même qui, de façon allusive, apporte une information capitale sur cette question. On se souviendra que ses « Pages dédiées au Soleil. Sahaïf Shamsiyah » ont été publiées dans La Gnose en février 1911. Cet article a été écrit en août 1910. Or, cette précision n’est pas donnée dans la version originale. Elle figure dans celle intitulée : « Bibliothèque du Panthéisme arabo-musulman. I – Premières notions : nihilisme et mysticité », dont nous reproduisons le titre et la dédicace, puis la partie finale, à partir des épreuves corrigées. Avant d’indiquer qu’il s’agit de la réédition des « Pages dédiées au Soleil », Abdul-Hâdi a ajouté la dédicace suivante : « À la Seyidah Maryam El-Baôniyah, je dédie ces lignes, en disciple reconnaissant » (8), ce que l’on comprendra ainsi : « À Madame Marie la Baonoise », ou : « À Madame Marie originaire de Baon », voire : « À Madame Marie de Baon », c’est-à-dire, bien évidemment, Marie Huot. « El-Baôniyah » est une nisba, un terme indiquant le nom de la ville d’où elle est native sous forme de gentilé : ce sont bien sûr ses ancêtres, les “Ménétrier”, qui sont effectivement issus de Baon ‒ elle-même est née à Tonnerre ‒et l’état civil témoigne qu’il existe dans cette commune des “Ménétrier” depuis bien des générations, au moins depuis 1670 (9).
Puisque nous venons de parler du premier article de la « Bibliothèque du Panthéisme arabo-musulman », nous nous permettrons une incidente. Dans cette version, Abdul-Hâdi a apporté une correction de détail. Ainsi, dans cette phrase : « Quand, par la suite, le milieu influence l’individu, le milieu n’est que l’instrument au moyen duquel les collectivités du passé et du présent s’emparent de l’individu pour le réduire à l’esclavage le plus ignoble » (10), il a remplacé ce dernier qualificatif par celui de : « honteux ».
Dans la section finale appelée : « Documents », il publie à nouveau le poème final, puis date l’article : « Paris, août 1910. » À Michel Vâlsan qui se disait « particulièrement intrigué par les [deux derniers] vers cités dans les “Pages dédiées au Soleil” :
“Je lisais les livres du Maître avant de savoir l’arabe.
“Je le vis lui-même avant de connaître son nom” » (11),
René Guénon dira que ce n’était « pas à proprement une citation ; c’est une traduction de vers arabes composés par...
Mahdî Brecq
(À suivre)
La suite de cet article est exclusivement aux acheteurs
du numéro 11 des Cahiers de l'Unité
Pour citer cet article :
Mahdî Brecq, « Nouveaux éclairages sur Ivan Aguéli (III) », Cahiers de l’Unité, n° 11, juillet-août-septembre, 2018 (en ligne).
juillet-août-sept. 2024