Numéro 17
Janvier, février, mars 2020
édition brochée, 218 illustrations et photographies, couleur, papier couché 120 g, format 19x25, 112 p.
44 €
Revue d'études des doctrines et des méthodes traditionnelles
Cahiers de l’Unité
René Guénon
et le Rite Écossais Rectifié
par Jean-Marc Vivenza
Étude critique
NOTES
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1. Nous ne connaissions pas l’orthographe « Bienfesants » telle qu’elle figure dans le sous-titre. Les Éditions du Simorgh publient aussi les Cahiers Verts (en référence aux Loges vertes du grade de Maître Écossais de Saint-André, à cause de la couleur de leurs décors), organe du Grand Prieuré des Gaules, obédience du Rite Écossais Rectifié (R. E. R.). Dans une volonté de retour aux sources du Convent des Gaules de 1778 et de fidélité à l’œuvre de Willermoz, cette obédience a connu une scission en 2012 sous l’influence de M. Vivenza. À la suite de celle-ci est apparu le Directoire National Rectifié de France – Grand Directoire des Gaules. Il est à noter que celui-ci se réfère à Guénon dans sa critique de l’organisation sous forme « obédientielle » (cf. les sites Internet du Directoire Rectifié de France et celui intitulé Semper Rectificando). Le Rite Écossais Rectifié est constitué de quatre grades symboliques (Loges de Saint Jean (bleues) : Apprenti, Compagnon, Maître ; Loges de Saint André (vertes) : Maître Écossais), conduisant à un Ordre de Chevalerie, dit « Ordre Intérieur », formé des Écuyers Novices et des Chevaliers Bienfaisants de la Cité Sainte, Ordre intérieur auquel était adjoint une classe secrète, dite « non ostensible », de Chevaliers Profès et Grands Profès.
2. Cf. Marc Brion, « Génération spirituelle de René Guénon », Cahiers de l’Unité, n° 1, janvier-février-mars, 2016.
3. Lettre du 16 mai 1948.
4. Pour donner une idée de la valeur de ce procédé, que dirait-on, et que dirait M. Vivenza si pour parler de ses livres, nous commencions par évoquer sa jeunesse pour les expliquer ? Ce qui mérite d’être relevé, c’est qu’il ne craint pas de renvoyer élogieusement, aujourd’hui, à Robert Ambelain (1907-1997), occultiste notoire des plus inquiétants et maître de Robert Amadou (cf. note 39, p. 111). M. Roger Dachez, en qualifiant Ambelain de « maître de la confusion », a relevé, très justement, son « esprit d’amalgame si caractéristique […] empilant sans vergogne les [pseudo] filiations les plus diverses et les structures [pseudo-]initiatiques les plus dissemblables. » (Cf. « La Grande Profession dans l’histoire du Régime Écossais Rectifié », Renaissance Traditionnelle, numéros 181-182, janvier-avril 2016)
Au sujet d’Ambelain, Guénon disait, dans le compte rendu de son livre Dans l’ombre des cathédrales (Paris, 1939), qu’il confondait initiation et magie, et que son point de vue relevait « d’une certaine initiation qu’on peut dire “dévoyée” et dont nous connaissons par ailleurs d’assez nombreux exemples, depuis la Renaissance jusqu’à notre époque. Précisons qu’il s’agit en principe d’une initiation de Kshatriyas (ou de ce qui y correspond dans le monde occidental), mais dégénérée par la perte complète de ce qui en constituait la partie supérieure, au point d’avoir perdu tout contact avec l’ordre spirituel, ce qui rend possibles toutes les “infiltrations” d’influences plus ou moins suspectes. Il va de soi qu’une des premières conséquences de cette dégénérescence est un “naturalisme” poussé aussi loin qu’on peut l’imaginer. » Il relevait encore que l’ignorance métaphysique et le « dualisme » de l’auteur avaient comme autre conséquence « le “luciférianisme”, rendu possible par ce dualisme même, et d’ailleurs inhérent en quelque sorte à ce qu’on peut appeler la “révolte des Kshatriyas”. » Il précisait encore à cette occasion que le passage du « luciférianisme » au « satanisme » pouvait « s’effectuer presque insensiblement comme une déviation poussée de plus en plus loin [et qu’il] finit naturellement par aboutir à un renversement complet de l’ordre normal. » (É. T., mars-avril 1946) Voir aussi, Gino Sandri, Le Grand Lunaire. Robert Ambelain et les milieux occultistes du début du XXe siècle, Marseille, 2013).
5. Cf. Stanislas Ibranoff, « Étude critique du livre : Diversité et unité des religions chez René Guénon et Frithjof Schuon par Patrick Ringgenberg », (« L’absence d’un véritable esprit critique ») ; « Étude critique du livre : René Guénon. Une politique de l’esprit par David Bisson » (« La confusion occultiste de M. Bisson »), Cahiers de l’Unité, n° 1 & 2, janvier-février-mars & avril-mai-juin, 2016 ; Laurent Guyot, « René Guénon et la Maçonnerie opérative » (2e partie), Cahiers de l’Unité, n° 3, juillet-août-septembre, 2016.
6. « À propos d’un article du “Symbolisme” », Études Traditionnelles, n° 396-397, p. 190, juillet-août & septembre-octobre 1966. Le 17 mai 1947, Guénon donnait des précisions sur les épisodes auxquels fait allusion M. Vivenza : « À l’époque dont il s’agit, le sieur Ch. Détré, plus connu sous le nom de Téder, avait réussi à prendre sur Papus une influence d’autant plus étonnante que, jusque-là, ledit Papus s’était toujours arrangé au contraire pour écarter d’une façon ou d’une autre tous les gens qui pouvaient lui porter ombrage. Ce Téder, personnage fort suspect à tous les points de vue, n’avait de vraiment remarquable qu’une énorme érudition historique, dont il savait d’ailleurs fort bien se servir surtout pour “truquer” les documents et leur faire dire tout ce qu’il voulait ; toute sa campagne contre le G∴ O∴ est un véritable chef-d’œuvre en ce genre spécial… Comme il craignait que je ne voie trop clair dans ses agissements (je n’avais pourtant alors que 22 ans), il résolut d’inventer n’importe quoi pour m’éliminer ; pour impressionner Papus et autres, il fabriqua toute une série de fausses lettres de moi, dont, chose curieuse, il ne pouvait montrer que des photographies, et qui servirent de base au rapport dont il est question dans la note susdite. [...] Enfin, n’étant tout de même pas très sûr que Papus ne se ressaisirait pas au dernier moment, il profita de son absence pour faire prononcer mon “exclusion” par quelques pauvres gens qu’il avait rassemblés à grand’ peine pour cette circonstance ; il faut dire en effet que la fameuse L∴ Humanidad avait déjà cessé d’exister en fait et ne se réunissait plus jamais, et que ce fut là sa dernière manifestation. – Ce qu’il importe de remarquer encore, c’est que les personnages dont il vient d’être question ne furent jamais Maçons réguliers. [...] Le F∴ Waite a accusé Papus et son école d’antimaçonnisme ; cela peut paraître exagéré à première vue, en ce sens qu’ils semblaient ne s’attaquer qu’au seul G∴ O∴ ; mais, quand on examine certaines choses de plus près, on doit reconnaître qu’il n’avait pas tort. Ainsi, pour ne donner qu’un exemple, tous les Martinistes du 2e degré, hommes et femmes, recevaient communications des m∴ et s∴ des 3 grades de la Maç∴ symb∴ sans qu’il leur soit demandé aucun serment, et cela sous le prétexte que, au XVIIIe siècle, l’initiation à l’Ordre des Élus Coens, dont le Martinisme se prétendait bien à tort l’héritier, présupposait la possession de ces 3 grades. Je vous signale à cette occasion qu’il y a actuellement, toujours dans le même milieu, une tentative de reconstitution des Élus Coens ; mais, en l’absence de toute filiation authentique, il ne s’agit là en réalité que d’une simple imitation dépourvue de toute valeur. ».
7. Cf. R. Amadou, Martinisme, pp. 37 & 40, CIREM, 1997. Ce n’est pas ce que dit Willermoz dans sa lettre du 12 octobre 1781 au prince Charles de Hesse-Cassel : « Quant aux Instructions Secrètes [de la Profession] : mon but en les rédigeant fut de réveiller les Maçons de notre Régime de leur fatal assoupissement ; de leur faire sentir que ce n’est pas en vain qu’on les a toujours excités à l’étude des symboles, dont, par leur travail et avec plus de secours, ils peuvent espérer de percer le voile. De les ramener à l’étude de leurs propres natures ; de leur faire entrevoir leur tâche et leur destination. Enfin de les préparer à vouloir devenir hommes. Lié d’une part par mes propres engagements, et retenu de l’autre, par la crainte de fournir des aliments à une frivole curiosité, ou de trop exalter certaines imaginations si on leur présentait des plans de Théorie qui annonceraient une Pratique, je me vis obligé de n’en faire aucune mention et même à de ne présenter qu'un tableau très raccourci de la nature des êtres, de leurs rapports respectifs, ainsi que des divisions universelles. »
Rappelons que le Traité de la Réintégration ne sera édité qu’en 1899. (Sur les manuscrits et les éditions du Traité, cf. X. Cuvelier-Roy, « Le Traité sur la réintégration des êtres : 1 – Les manuscrits ; II – Les éditions », site : Le Philosophe Inconnu)
Dans une lettre du 26 octobre 1933, Guénon écrivait : « Je ne sais si je t’ai donné l’explication de l’épithète “rectifié” : il s’agit d’une “rectification” du système de la Stricte Observance, décidée au Convent de Wilhelmsbad et adoptée par le Convent de Lyon (où le rôle principal fut joué par Willermoz, ce qui a donné à Papus l’occasion d’affubler le Régime Rectifié de l’appellation baroque de “willermozisme”, sans d’ailleurs qu’il ait jamais bien pu se rendre compte qu’il s’agissait là de quelque chose de totalement différent du Rite des Élus Coëns ; on n’a pas idée du gâchis que ce malheureux homme a pu faire avec tout cela, ce qui n’empêche pas qu’il y a encore des gens qui le considèrent comme un “grand Maître” !) »
8. « La réception de René Guénon dans la Franc-Maçonnerie française », Politica Hermetica, René Guénon, lectures et enjeux, n° 16, p. 162, 2002
9. Citation du Pr Kloss, « dans son histoire de la Franc-Maçonnerie en France », reprise par G. Van Rijnberk, Un thaumaturge au XVIIIe siècle, Martines de Pasqually, Sa vie, son œuvre, son ordre, tome 1er, p. 102, Raclet, 1938.
10. Réédité chez Archè à Milan en 1990. Ce livre sert de point de départ à l’étude : « À propos des “Rose-Croix” lyonnais », Le Voile d’Isis, janvier 1930. Les manuscrits des textes de la réception sont à la bibliothèque municipale de Lyon, dans le fonds Willermoz. Celui de la Grande Profession a été publié par M. Antoine Faivre en appendice du livre de René Le Forestier, La franc-maçonnerie templière et occultiste aux XVIIIe et XIXe siècles, Paris, 1970. Voir aussi, Ostabat (Jean Saunier), « Les Chevaliers Profès de la Stricte Observance Templière et du Régime Écossais Rectifié », Le Symbolisme, avril-juin 1969. L’Instruction secrète des Grand Profès avait été transmise par Willermoz à Ferdinand de Brunswick et Charles de Hesse-Cassel pour s’en faire des alliés peu avant le Convent de Wilhelmsbad (cf. A. Faivre, « Une collection maçonnique inédite : le fonds Bernard-Frédéric de Turckheim (premier article), Revue de l’histoire des religions, tome 175, n° 1, 1969)
11. Ce pseudonyme est le nom d’Abraham écrit à l’envers ! On sait qui sont ceux qui pratiquent l’inversion des noms sacrés et des rites... Il n’était pas difficile de savoir qui se cachait sous cet anacyclique, et l’occultiste M. Serge Caillet l’a confirmé publiquement dans un livre d’entretiens avec M. Xavier Cuvelier-Roy, Les hommes de désir – Entretiens sur le Martinisme, p. 44, Grenoble, 2012. Cet ouvrage est un document éloquent sur les milieux pseudo-initiatiques contemporains en France, sur leur effrayant manque de discernement, leurs illusions, et leurs conceptions fantasmagoriques.
Il est intéressant d’apprendre, d’après M. Caillet (p. 130), qui en fut également un des récipiendaires, qu’Amadou continuait de transmettre, si l’on peut ainsi parler de quelque chose qui n’existe pas, la pseudo-initiation « néo-martiniste » qu’il avait reçue de R. Ambelain en 1945 et alors que ce dernier avait lui-même démenti publiquement sa validité en 1948 dans Le Martinisme contemporain et ses véritables origines. Le comble est qu’Amadou avait également reconnu publiquement la nature factice de la pseudo-transmission de cette soi-disant initiation « néo-martiniste », si tant est qu’il s’agît d’elle : « Personne, à notre connaissance, ne détient aujourd’hui la succession cohen, ni au sein d’aucun Ordre, ni en sauvage. » (cf. « Documents martinistes », en ligne) En se rappelant l’initiation dévoyée et ténébreuse à laquelle faisait allusion Guénon à propos d’Ambelain, on peut alors se demander si ce n’était pas celle-ci qu’Amadou transmettait ainsi en réalité.
Dès le début, Guénon avait distingué une supercherie : « La reconstitution de l’Ordre des Élus Coëns, sur laquelle j’ai trouvé des détails dans le livre récent de R. Ambelain sur le Martinisme [Le Martinisme : Histoire et doctrine, Paris, 1946, rééd. 2011] semble bien n’avoir été qu’une initiative de feu Lagrèze, sans aucune filiation réelle, ce qui assurément en diminue beaucoup l’intérêt. Par surcroît, il circule dans ces milieux toute sorte d’histoires fantastiques, dues surtout à la préoccupation de trouver quelque chose à quoi on puisse se rattacher tant bien que mal. » (Lettre du 5 octobre 1946).
Le 26 mai 1948, il remarquait : « À ce propos, une histoire bien curieuse, c’est la campagne menée ces temps-ci contre la légitimité d’un “Ordre Martiniste” quelconque, par quelques-uns de ceux qui en avaient été jusqu’ici les plus ardents défenseurs : circulaire de démission de J. Chaboseau, brochure toute récente de R. Ambelain [Le Martinisme contemporain et ses véritables origines, Paris, 1948] (qui constitue un véritable démenti à son précédent livre sur le même sujet) ; le plus extraordinaire est que ces gens, qui ne m’avaient jamais témoigné que de l’hostilité, s’appuient maintenant, pour justifier leur nouvelle attitude, sur ce que j’ai écrit dans les “Aperçus sur l’Initiation” ! »
Au sujet d’Ambelain, il ajoutait le 18 juillet 1948 : « Ce qui est stupéfiant, c’est que cette brochure constitue un véritable démenti à son précédent livre sur le Martinisme, tant en ce qui concerne les “Frères d’Orient ” que sur divers autres points. Je me demande où tout cela veut en venir exactement ; il y a des confusions qui ne me paraissent pas entièrement involontaires, notamment entre les grades des Élus Coëns et ceux du Régime Rectifié ; mais jusqu’à quel point Ambelain est-il réellement mandaté par ce dernier ? En tous cas, le Régime Rectifié n’a vraiment pas de chance, car il attire bien des gens plus ou moins suspects ; un peu avant la guerre, il avait été question de constituer un Grand Prieuré en Belgique, mais la chose n’a pas eu de suite, et je dois dire que j’y ai bien été un peu pour quelque chose, ayant su ce que valaient les éléments auxquels on se proposait de faire appel ! »
Sur le Martinisme de Papus, on se souvient de sa lettre du 17 novembre 1935 : « Le Martinisme, en lui-même, ne représente absolument rien au point de vue traditionnel et initiatique, car la vérité est qu’il a été inventé de toutes pièces par Papus ; j’ai retrouvé ces temps-ci, parmi mes papiers, d’assez curieux documents à ce sujet ; visiblement lui-même n’avait aucune idée arrêtée sur ce à quoi cette organisation pouvait servir ; c’est quand des personnages comme Teder et Bricaud s’y sont introduits que la chose a pris une tournure inquiétante... » (Cf. « René Guénon et la Maçonnerie opérative » (2e partie), Cahiers de l’Unité, n° 3, juillet-août-septembre, 2016).
Apparemment inconscient de la véritable nature de la secte « carméléenne » fondée par Eugène Vintras, M. Caillet rapporte que Jean Bricaud avait hérité de son « pontificat » (p. 70). Guénon remarquait, en faisant allusion à Boullan et Bricaud, qu’il est « fort possible que Vintras lui-même n’ait été qu’un sataniste parfaitement inconscient, en dépit de tous les phénomènes qui s’accomplissaient autour de lui et qui relèvent nettement de la “mystique diabolique” ; mais peut-être ne pourrait-on pas en dire autant de certains de ses disciples et de ses successeurs plus ou moins légitimes. » (L’Erreur spirite, ch. X) En 1938, il ajoutait : « cette histoire du “Carmel” vintrasien se rattache à tout un ensemble d’événements fort ténébreux qui se déroulèrent au cours du XIXe siècle, et dont nous n’oserions même pas affirmer, en constatant certaines “ramifications” souterraines, qu’ils n’ont pas une suite aujourd’hui encore... » (É. T., Janvier 1938) C’est effectivement le cas, comme le montre le livre de M. Caillet qui offre un aperçu de ce milieu et de sa perpétuation.
M. Caillet reconnaît l’inauthenticité des filiations « néo-martinistes » de Papus et d’Ambelain, mais il déclare : « Sauf à être guénonien, je crois comme toi [M. Cuvelier-Roy] qu’on peut distinguer les filiations spirituelles rituelles des filiations spirituelles non rituelles » (p. 49). D’après lui, le désir « de rattachement à quelque chose » suffirait. Il est sûr que, sauf à préférer la vérité à l’erreur, on peut imaginer tout ce qui plaît. Heureusement, si l’Esprit souffle où il veut, il ne souffle jamais n’importe où. Si ce n’était pas le cas, les organisations initiatiques n’auraient pas de raison d’être.
12. « À propos du Régime Écossais Rectifié et de la Grande Profession », Le Symbolisme, n° 391, d’octobre-décembre 1969. Dans l’ouvrage cité à la note précédente, M. Serge Caillet, lui-même Grand Profès, précise : « La grande profession, ce n’est plus de la franc-maçonnerie » et « La grande profession est un conservatoire de la doctrine de la réintégration, instauré en dehors même de l’Ordre intérieur du Régime Écossais Rectifié. » Cette dernière précision est toutefois quelque peu exagérée. Il ajoute qu’« on ne devient pas profès ou grand profès en vertu d’une initiation, mais en étant agrégé dans le collège habilité, après décision unanime des membres. Cette agrégation consiste uniquement dans la lecture d’une instruction » (c’est nous qui soulignons). Son interlocuteur lui demande de nouveau : « Donc pas d’initiation, au sens maçonnique, de profès ou grand profès ? » et M. Caillet de répondre : « Non ! Une simple agrégation à un collège par une lecture solennelle » (p. 45). Voir aussi la description donnée dans Renaissance Traditionnelle (« La grande profession : documents et découvertes, le fonds Turckheim »), n° 181-182, janvier-avril 2016. Dans « la Grande Profession dans l’histoire du Régime Écossais Rectifié, sources, problèmes et perspectives », M. Dachez considère que la Grande Profession a été conçue pour exercer une fonction « exclusivement doctrinale » (ibid.). Ce qui nous paraît peu contestable. M. Pierre Noël, dans un article intitulé « La Profession », demandait : « À quoi sert de conserver un grade à la recherche de sa raison d’être puisque… il n’en est pas un ? » (cf. Renaissance Traditionnelle, n° 168, octobre 2012).
13. Guénon poursuit : « En dehors de la “survivance directe” suivant l’expression de M. van Rijnberk, celui-ci envisage pourtant une “survivance indirecte” qui aurait consisté dans ce qu’il appelle les deux “métamorphoses willermosiste et martiniste” ; mais il y a là une équivoque qu’il est utile de dissiper. Le Régime Écossais Rectifié n’est point une métamorphose des Élus Coëns, mais bien une dérivation de la Stricte Observance, ce qui est totalement différent. » (« L’énigme de Martinès de Pasqually », Études Traditionnelles de mai à juillet 1936. Repris dans les Études sur la Franc-Maçonnerie et le Compagnonnage, t. 1, p. 85, Paris, 1965.)
14. Cf. Jean Saunier, Les chevaliers aux portes du Temple : Aux origines du Rite Ecossais Rectifié, Brétignolles-sur-mer, 2005. Il s’agit d’un recueil de ses articles parus dans Le Symbolisme. Selon l’article 15 des Règlements généraux adoptés en 1775 au Convent de Brunswick : « On appelle Profès ceux qui ont fait leur dernière Profession apelée majeure ; cette Profession n’est point un grade qui augmente les connoissances, mais un acte libre et uniquement à la volonté de celuy qui la fait [...] » (C’est nous qui soulignons). (Cf. Eques a Quæstione studiosa (Alain Bernheim), « Notes à propos du Rite Écossais Rectifié », Acta Macionica, vol. 11, 2001)
15. On sait que M. Vivenza est ainsi l’auteur d’un Dictionnaire de René Guénon (Grenoble, 2002). Dans les n° 55-56, de juillet-décembre 1998, de la revue Connaissance de Religions, il avait donné un excellent compte rendu du livre de M. Jean Borella, Ésotérisme guénonien et Mystère chrétien, où il défendait la position traditionnelle sur la question du Christianisme. Il parlait alors de l’œuvre « irremplaçable de René Guénon » (p. 179). Ce texte était d’une tenue intellectuelle nettement supérieure à ce qu’il devait publier quelques années plus tard. On peut se demander pourquoi il a été plus ou moins soudainement privé d’une compréhension de l’œuvre de Guénon, alors qu’il avait eu le privilège de la lire et de la comprendre tout d’abord, du moins dans une certaine mesure. Serait-ce l’influence de Robert Amadou ou faut-il penser à « la conséquence d’un défaut quelconque sous le rapport des qualifications initiatiques » ? Dans un cas analogue, un collaborateur de la revue avait évoqué la métaphore traditionnelle selon laquelle lorsqu’« un trésor est cherché par quelqu’un à qui il n’est pas destiné, l’or et les pierres précieuses se changent pour lui en charbon et en cailloux vulgaires. »
16. Cette attitude eut un effet imprévu en ce qu’elle fut à l’origine de tendances opposées au sein même du Régime Rectifié vis-à-vis de l’œuvre de Guénon. On en trouve un écho bruyant, et presque comique, dans le livre de M. Jean-François Var, La franc-maçonnerie à la lumière du Verbe (Paris, 2012). Voici ce que déclare l’ancien Grand Aumônier du Grand Prieuré des Gaules : « Guénon est un hérésiarque, un des plus grands de tous les temps – inutile de nier sa grandeur, elle rend le péril d’autant plus redoutable » (p. 27). Pour lui, « la métaphysique de Guénon » « est une métaphysique athée et pour athées » (p. 26). On ne sera pas trop rassuré sur les qualifications intellectuelles de M. Var en apprenant que c’est « Louis-Claude de Saint-Martin [qui lui] fournit le contrepoison qui [le] guérit à tout jamais de l’emprise guénonienne » (p. 16), surtout si par « Saint-Martin » il faut plutôt entendre « R. Amadou »...
Jean Granger (1919-1995), alias Jean Tourniac, est devenu la cible posthume de M. Var qui lui reproche d’avoir cultivé « un fatras d’idées judéo-guénoniennes » en lieu et place de la doctrine de Martines de Pasqually ; ce sont les termes de ce pathétique personnage, prêtre orthodoxe de surcroît (il déclare lui-même voir dans la Maçonnerie une terre de mission...). Il nous semble qu’il y avait des termes plus choisis et plus respectueux pour contester les positions de Tourniac. M. Var semble avoir oublié que l’enseignement de Martines « est d’inspiration proprement judaïque »... Il est connu que M. Var est passé de l’influence de Tourniac sous celle d’Amadou, faut-il alors voir dans cet oubli de l’origine de l’enseignement de Martines quelque lien avec le fait que son dernier mentor, Robert Amadou, avait collaboré en octobre 1942, avec le sinistre Pierre Plantard, à la revue maréchaliste Vaincre (n° 21) ? (N’oublions pas que P. Plantard fut à l’origine de la mystification anti-traditionnelle de Rennes-Le-Château) Si M. Var en veut à Guénon « d’avoir détourné de la foi chrétienne des esprits qui se croyaient forts, mais qui étaient faibles (combien de ses disciples sont passés à l’Islam) », en revanche, il « estime Granger infiniment plus coupable pour avoir délibérément faussé, déformé le Rectifié pour servir ses desseins, et diffusé au sujet de ce Rite exceptionnellement unique (sic !) des idées controuvées et qui, malheureusement, continuent à avoir cours. Granger passe toujours pour le Phénix du Rectifié. Eh bien, non : ce Phénix ne doit pas renaître de ses cendres ! » (p. 27).
Notons que M. Vivenza n’est guère mieux traité par M. Var qui parle d’une « secte vivenzarque. » Si M. Var trouvait que Tourniac n’était pas assez chrétien, M. Vivenza considère que M. Var l’est trop, à sa manière : leur amitié partagée avec Robert Amadou et leur communion dans le mysticisme de Saint-Martin ne semblent pourtant pas pouvoir les réunir. Les querelles de personnes jointes aux querelles de doctrine ne sont certes pas l’apanage des Maçons Rectifiés, mais il est significatif qu’elles se situent ici exclusivement dans le domaine religieux, et certainement pas dans l’ordre initiatique.
17. Voici, par exemple, le passage bien connu du rituel d’ordination de Réau-Croix (nous n’avons pas corrigé l’orthographe) : « Vous n’offrirez d’autre holocoste d’expiation que la tête d’un chevreuil mâle, que vous ferez acheter indifféremment au marché, laquelle tête sera avec sa peau velüe. Vous la préparerez ainsi que l’on prépare le chevreuil avant de l’égorger. Ensuite vous dresserez trois feux nouveaux. Dans celui qui sera au nord vous mettrez la tête sans langue ni cervelle mais bien avec les yeux. Dans celui qui sera au midi vous y mettrez la cervelle. Dans celui qui sera à l’Ouest vous y mettrez la langue. Lorsque le tout brûlera le candidat jettera trois grains de sel assez gros dans chaque feu. » (Lettre de Martinès de Pasqually à Bacon de la Chevalerie, le 2 mai 1768, citée par Gustave Bord, La Franc-Maçonnerie en France des origines à 1815, p. 229, Paris, 1908 ; Alice Joly, Un Mystique lyonnais et les secrets de la franc-maçonnerie : Jean-Baptiste Willermoz (1730-1824), p. 24, 1986 ; voir aussi, Georges Courts, Le Grand Manuscrit d’Alger : Magie et Franc-Maçonnerie au XVIIIe siècle, t. I & II, Marseille, 2009)
18. Cf. Michel Vâlsan, « La fonction de René Guénon et le sort de l’Occident », É. T., p. 217, 1951.
19. On sait que R. Ambelain, alias Aurifer, s’y essaya. Ayant eu communication des procès-verbaux d’Ambelain dans lesquelles il relate ses expériences de « travaux d’équinoxe », Guénon disait qu’il ne voyait « pas bien à quoi peuvent aboutir des expériences de ce genre, ni surtout quel bénéfice d’ordre spirituel on peut espérer en retirer ! » (Lettre du 25 juillet 1949) Il est notoire qu’Ambelain était grand amateur de « magie cérémonielle », et même de sorcellerie. Il n’est qu’à lire son livre sur La magie sacrée ou livre d’Abramelin le Mage (Paris, 1959). Il déclarait d’ailleurs, sans que cela n’ait rien de péjoratif d’après lui, que « toute magie pratique est et ne peut être que satanique », en précisant, comme Guénon le faisait remarquer, qu’il l’entendait en ce sens qu’elle appartient au domaine du Seth égyptien (cf. Dans l’ombre des cathédrales, p. 147, Paris, 1939).
On a prétendu que cet ouvrage n’était qu’un livre de jeunesse et qu’Ambelain avait changé : mais dans la préface à sa réédition, en 2001, Gérard Kloppel, alias Signifer, rapporte qu’Ambelain et lui avaient fait « l’évocation d’une entité égyptienne qui a trait à la Grande Hiérophanie de Memphis-Misraïm », évocation que l’on peut dater du début des années 90. La raison de cette extraordinaire convocation était... « de savoir comment pourrait se développer et sur un plan national et sur un plan international, la politique en France » ! Son disciple, Robert Amadou, alias Ignifer, encouragea toujours la mise en pratique des « opérations » de Martines. Sa note confidentielle, « Opérons donc », en 1998, est bien connue à cet égard (cf. Renaissance Traditionnelle, « Tricentenaire de Martinès de Pasqually », n° 165-166, janvier-avril 2012). Totalement illusionnées sur les résultats que l’on peut en obtenir aujourd’hui, alors qu’il n’y a plus aucune transmission qui le permettrait, plusieurs personnes s’y essayèrent et continuent de le faire (cf. G. Courts, op. cit.). Nous ne savons pas si leurs préoccupations sont aussi spirituelles que celles d’Aurifer et de Signifer, sinon de celles d’Ignifer, mais souhaitons-leur au moins de ne pas tomber dans les griffes de... Lucifer !
20. Aperçus sur l’Initiation, ch. XX. Au sujet de la « magie cérémonielle », Guénon précise : « D’autre part, ces rites sont littéralement étouffés sous le “formalisme” vide des cérémonies, car, incapable de discerner l’essentiel de l’accidentel (et les livres auxquels il s’en rapporte seront d’ailleurs fort loin de l’y aider, car tout y est d’ordinaire mêlé inextricablement, peut-être volontairement dans certains cas et involontairement dans d’autres), le “magiste” s’attachera naturellement surtout au côté extérieur qui le frappe davantage et qui est le plus “impressionnant” ; et c’est là, en somme, ce qui justifie le nom même de la “magie cérémonielle”. En fait, la plupart de ceux qui croient ainsi “faire de la magie” ne font en réalité rien de plus ni d’autre que de s’autosuggestionner purement et simplement ; ce qu’il y a de plus curieux ici, c’est que les cérémonies arrivent à en imposer, non pas seulement aux spectateurs, s’il y en a, mais à ceux mêmes qui les accomplissent, et, quand ils sont sincères (nous n’avons à nous occuper que de ce cas, et non de celui où le charlatanisme intervient), sont véritablement, à la façon des enfants, dupes de leur propre jeu. Ceux-là n’obtiennent donc et ne peuvent obtenir que des effets d’ordre exclusivement psychologique, c’est-à-dire de même nature que ceux que produisent les cérémonies en général, et qui sont du reste, au fond, toute la raison d’être de celles-ci ; mais, même s’ils sont restés assez conscients de ce qui se passe en eux et autour deux pour se rendre compte que tout se réduit à cela, ils sont bien loin de se douter que, s’il en est ainsi, ce n’est que du fait de leur incapacité et de leur ignorance. »
Il indiquait encore : « Maintenant, il est évident que le fait de s’illusionner sur la valeur de ces choses et sur l’importance qu’il convient de leur attribuer en augmente considérablement le danger ; ce qui est particulièrement fâcheux pour les Occidentaux qui veulent se mêler de “faire de la magie”, c’est l’ignorance complète où ils sont nécessairement, dans l’état actuel des choses et en l’absence de tout enseignement traditionnel, de ce à quoi ils ont affaire en pareil cas. Même en laissant de côté les bateleurs et les charlatans si nombreux à notre époque, qui ne font en somme rien de plus que d’exploiter la crédulité des naïfs, et aussi les simples fantaisistes qui croient pouvoir improviser une “science” de leur façon, ceux mêmes qui veulent sérieusement essayer d’étudier ces phénomènes, n’ayant pas de données suffisantes pour les guider, ni d’organisation constituée pour les appuyer et les protéger, en sont réduits à un fort grossier empirisme ; ils agissent véritablement comme des enfants qui, livrés à eux-mêmes, voudraient manier des forces redoutables sans en rien connaître, et, si de déplorables accidents résultent trop souvent d’une pareille imprudence, il n’y a certes pas lieu de s’en étonner outre mesure.
En parlant ici d’accidents, nous voulons surtout faire allusion aux risques de déséquilibre auxquels s’exposent ceux qui agissent ainsi ; ce déséquilibre est en effet une conséquence trop fréquente de la communication avec ce que certains ont appelé le “plan vital”, et qui n’est en somme pas autre chose que le domaine de la manifestation subtile, envisagé d’ailleurs surtout dans celles de ses modalités qui sont les plus proches de l’ordre corporel, et par là même les plus facilement accessibles à l’homme ordinaire. L’explication en est simple : il s’agit là exclusivement d’un développement de certaines possibilités individuelles, et même d’un ordre assez inférieur ; si ce développement se produit d’une façon anormale, désordonnée et inharmonique, et au détriment de possibilités supérieures, il est naturel et en quelque sorte inévitable qu’il doive aboutir à un tel résultat, sans même parler des réactions, qui ne sont pas négligeables non plus et qui sont même parfois terribles, des forces de tout genre avec lesquelles l’individu se met inconsidérément en contact. » (Ibid., ch. II)
21. Cf. P. B., « Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps : À propos d’une prétendue “Édition définitive” », 1re partie, suite et fin, « Remarques concernant le symbolisme de Caïn et Abel », Cahiers de l’Unité, n° 4, octobre-novembre-décembre, 2016.
22. Cf. « Quelques documents inédits sur l’ordre des Élus Coëns », La France antimaçonnique, n° 17, 21, 22, 23 et 28 du 21 mai au 9 juillet 1914, cf. Le Sphinx, Recueil, Textes parus dans La France Antimaçonnique, Éditions Kalki, Rennes, 2015. À l’époque où il rédigea cette présentation, les documents publiés sur l’Ordre des Élus Coëns étaient peu nombreux et « les moindres fragments authentiques relatifs aux Élus Coëns [comme il le précisait, étaient] donc intéressants en raison de leur rareté même. » Outre le livre de Jacques Matter (Saint-Martin, le philosophe inconnu, sa vie et ses écrits, son maître Martinez et leurs groupes, Paris, 1862) et celui, antimaçonnique, de Gustave Bord déjà cité, les ouvrages les plus importants étaient les deux volumes de la « Bibliothèque Rosicrucienne », publiée par Chacornac sous les auspices du Rite de Misraïm : Le Traité de la Réintégration des Êtres dans leurs premières propriétés, vertus et puissance spirituelles et divines (1899), et les Enseignements secrets de Martinès de Pasqually (1900) par Franz von Baader. Guénon ajoutait que « l’ouvrage de Papus sur Martinès de Pasqually [Paris, 1895] contient des lettres de provenances diverses, dont certaines sont intéressantes, mais qui ne sont pas toujours présentées d’une façon parfaitement intelligible. »
23. Cf. « Louis-Claude de Saint-Martin et la théurgie des Élus Coëns », sur son site Internet : http://jean-marcvivenza.hautetfort.com. Il est amusant de voir qu’à la suite de la parution de son livre sur Louis-Claude de Saint-Martin et les Anges, en 2012, M. Vivenza s’est lui-même trouvé accusé de vouloir réduire les « opérations » des Élus Coëns « à une magie un peu plus qu’ordinaire. »
24. En établissant l’histoire du fonds des manuscrits Prunelle de Lière, un chercheur a découvert ses efforts « pour occulter des documents dont il avait à plusieurs reprises publié des fac-similés en cachant leur provenance, attitude inexplicable pour un historien [...]. »
Il faudrait une autre occasion pour aborder le rôle tout à fait funeste de Robert Amadou, lequel, comme son maître Robert Ambelain, a souvent contribué à augmenter le désordre et la confusion dans l’esprit de bien des gens. On peut déjà citer le compte rendu de Guénon sur son livre, L’Occultisme, Esquisse d’un monde vivant (R. Julliard, Paris, 1950) : « L’auteur, au lieu de réserver, comme il se devrait, le nom d’“occultisme” aux conceptions spécifiquement modernes pour lesquelles il a été inventé, l’étend indûment, sur la foi de quelques similitudes apparentes, aux choses les plus différentes et même les plus contraires en réalité. Il confond ainsi sous un même vocable les diverses formes de l’ésotérisme traditionnel authentique et leurs déviations et contrefaçons multiples, citant les unes et les autres indistinctement et en mettant le tout sur le même plan, sans parler des sciences dites “occultes”, des arts divinatoires et autres choses de ce genre. On peut facilement imaginer toutes les contradictions et les équivoques qui résultent d’un pareil mélange, dans lequel le meilleur et le pire sont inextricablement confondus ; l’auteur ne paraît même pas s’apercevoir qu’il lui arrive de citer avec approbation des écrits qui sont en opposition formelle avec ses propres thèses : ainsi, il va jusqu’à nous mentionner en nous appliquant le qualificatif d’“occultiste”, ce qui est vraiment un comble ! Comme si ce défaut n’était pas suffisant, il y a aussi, dans la façon dont toutes ces choses sont envisagées, une grave erreur de point de vue, car elles sont présentées comme constituant tout simplement une “philosophie” ; or, s’il s’agit de doctrines traditionnelles, elles sont évidemment d’un tout autre ordre, et, s’il ne s’agit que de leurs contrefaçons, elles sont tout de même aussi autre chose, qui en tout cas ne saurait rentrer dans les cadres de la pensée philosophique. Nous avouons ne pas avoir très bien compris ce qu’on veut entendre par un “monde vivant”, à moins que ce ne soit une façon de distinguer la conception qu’on expose de celle qui se dégage de la science ordinaire et qui serait sans doute considérée alors comme celle d’un “monde mort” ; nous nous souvenons, en effet, d’avoir entendu jadis un semblable langage chez certains occultistes ; mais que peuvent bien signifier des expressions comme celles, qui reviennent fréquemment aussi, de “monde occultiste” et même de “phénomènes occultistes” ? Ce n’est pas à dire qu’il ne se trouve pas parmi tout cela quelques vues intéressantes sur des points de détail ; mais l’ensemble, disons-le nettement, est un véritable chaos, et nous plaignons les malheureux lecteurs qui ne disposeront pas, sur toutes les questions qui y sont abordées, d’autres sources d’information mieux “clarifiées” et plus dignes de confiance ; un tel livre ne peut assurément que contribuer pour sa part à augmenter le désordre intellectuel de notre époque, dont il est lui-même un excellent exemple. » (É. T., n° 287, octobre-novembre 1950)
25. Il n’y a pas de domaine profane, mais seulement un point de vue profane. Malgré le texte de R. Guénon sur « Le sacré et le profane » (É. T., janvier-février 1950), nous nous sommes aperçus que peu nombreux sont ceux qui ont bien compris cette question.
26. « Un nouveau livre sur l’Ordre des Élus Coens », Le Voile d’Isis, décembre 1929.
27. « L’énigme de Martines de Pasqually », Études Traditionnelles de mai à juillet 1936.
28. « À propos des “Rose-Croix lyonnais” », Le Voile d’Isis, janvier 1930.
29. En hébreu, Hekhal désigne à la fois le « Temple » et le « Palais ». Cette origine explique pourquoi Martines employait le terme de « Temple » à la place de celui de Loge. Elle explique aussi l’importance prise par la question du « sacerdoce » et l’utilisation même du nom de « Coëns ».
30. Nicolas Sed rappelait que cette voie était « une forme institutionnelle de la tradition, où il s’agit d’enseignements doctrinaux, de rites et de méthodes réservés à une élite », à savoir « des groupes organisés qui entretiennent et transmettent un dépôt secret. » Il précisait encore « que la hiérarchie de ces lignées [initiatiques] ne coïncide pas nécessairement avec celle des chefs de la tradition commune. » En note, il indiquait que cette distinction entre les deux hiérarchies existait également « dans les groupes judéo-chrétiens » abordés par Jean Daniélou dans son article sur « Les traditions secrètes des apôtres. » Au regard de ce que l’on peut lire sur l’Internet, il n’est sans doute pas inutile de mentionner que « l’analyse des textes des Hêykhalôt ne permet plus de maintenir le “mythe” de l’existence d’une gnose hérétique et dualiste à l’intérieur du judaïsme, ni durant les premiers siècles de notre ère, ni au cours des périodes fertiles qui ont façonné la physionomie du judaïsme rabbinique. » Ces lignées initiatiques remonteraient à Rabban Yohanan ben Zakkaï, le fondateur de l’Académie ou l’Assemblée de Yabnêh qui est une des sources du Judaïsme rabbinique après la destruction du Second Temple de Jérusalem en 70. (Cf. N. Sed, « Les Traditions secrètes et les disciples de Rabban Yohanan ben Zakkaï », Revue de l’Histoire de Religions, n° 184, 1973 ; P. Bloch, « Die Yordei Merkawa, die Mystiker der Gaonenzeit und ihr Einfluss auf die Liturgie », Monatsschrift für die Geschichte und Wissenschaft des Judenthums, n° 37, 1893 ; G. G. Scholem, Les grands courants de la mystique juive, ch. II, Paris, 1973 ; Peter Schäfer, Le Dieu Caché et révélé. Introduction à la mystique juive ancienne, Paris, 1993 ; Rachel Elior, « Mysticism, Magic, and Angelology: The Perception of Angels in Hekhalot Literature », Jewish Studies Quarterly, n° 1, 1993/94 ; « Research on Heikhalot Literature: Where Do We Stand Now? » in G. Sed-Rajna (ed.), Rashi 1040 – 1990, Congrès Européen des Études juives, Paris, 1993 ; A. Kuyt, The “Descent” to the Chariot: Towards a Description of the Terminology, Place, Function and Nature of the YERIDAH in Heikhalot Literature, Tübingen, 1995 ; R. M. Lesses, « The Adjuration of the Prince of the Presence: Performative Utterance in a Jewish Ritual », in M. Meyer and P. Mirecki (eds.), Ancient Magic and Ritual Power, Leiden, 1995 ; Vita Daphna Arbel, Beholders of Divine Secrets, Mysticism and Myth in the Hekhalot and Merkavah Literature, Albany, 2003 ; Andrei A. Orlov, The Enoch-Metatron Tradition, Tübingen, 2005 ; From Apocalypticism to Merkabah Mysticism, Leyde-Boston, 2007, et la bibliographie mise à jour en ligne en 2010 de Don Karr, « Notes on the Study of Merkabah Mysticism and Hekhalot, Literature in English with an appendix on Jewish Magic », in Guide to Kabbalistic Books in English, Ithaca, 1982) Il n’est pas possible ici d’entrer dans l’énorme dossier historique et doctrinal que cette question représente ni même d’évoquer les relations entre les courants hekhalotique et kabbalistique, ou faire les mises au point qui s’imposeraient d’un point de vue traditionnel.
31. Cf. Lewis Keizer, Sepher Ha-Razim and its Traditions, Santa Cruz, 1971 ; Haïm Zafrani, Kabbale, vie mystique et magie, Judaïsme d’Occident musulman, ch. IX, Paris, 1986 ; Michael A. Morgan, Sepher Ha-Razim: The Book of Mysteries, Chicago, 1983 ; B. Rebiger & P. Schäfer, Sefer ha-Razim I und II. Das Buch der Geheimnisse, Tübingen, 2009. La théurgie est la mise en œuvre d’influences spirituelles pour un résultat d’ordre sensible, tandis que la magie est une action d’ordre psychique, mettant en œuvre des influences subtiles appartenant au domaine de l’individualité humaine. Les effets apparents sont parfois les mêmes de part et d’autre, mais les causes qui les produisent n’en sont pas moins totalement et profondément différentes (cf. Aperçus sur l’initiation, ch. XLI). La présence d’un corpus important relevant de la magie dans le Tantrisme permet sans doute de comprendre, par analogie, comment il put y avoir, dans la tradition hébraïque, un passage de la théurgie à la magie, et la réduction de celle-là à celle-ci.
32. « L’énigme de Martines de Pasqually », Études Traditionnelles de mai à juillet 1936. Toutes les citations de Guénon qui suivent sont tirées de cet article. N’y a-t-il pas à ce propos une analogie – nous ne disons pas une similitude – avec le Régime en trois grades (« Chevalier du Temple », « Prince de la Nouvelle Jérusalem » et « Rose-Croix Égyptien ») constitué pour l’Ordre du Temple Rénové que dirigea R. Guénon à ses débuts, et où il dispensa pour la première fois son enseignement (d’octobre 1908 à mai 1910) ? Les éléments symboliques des rituels de cet Ordre, pour ceux que nous avons connu, permettent de le penser.
33. D’après Alice Joly, ils étaient virtuellement onze en 1767, quand Bacon de la Chevalerie en fit découvrir l’existence à Willermoz. Après les trois grades symboliques, auxquels s’ajoute celui de Maître-Parfait-Élu, viennent les grades « Coëns » : Apprenti, Compagnon, Maître, Grand Architecte, Chevalier d’Orient, Commandeur d’Orient et la classe suprême des Réaux-Croix. En réalité, en mai 1771, le grade de Grand Architecte n’était pas rédigé et Willermoz n’avait toujours pas obtenu les cahiers des grades bleus ni ceux des trois « Coëns » (cf. Alice Joly, Un Mystique lyonnais et les secrets de la franc-maçonnerie : Jean-Baptiste Willermoz (1730-1824), pp. 18, 22, 33, Paris, 1986).
34. C’est le cas notamment, depuis 2000, du Collège Tiferet qui propose en ligne une Notice sur les grades qui est assez bien faite. Ce « Collège » a pour vocation de « perpétuer un Martinisme de filiation “russe” dont il est issu (avec présence d’une composante Élu Cohen), et (depuis 2010), issu de ce dernier, la mise en activité d’un Temple élu Cohen restituant les Grades Cohens dans leur cadre strictement maçonnique, et ce en totale indépendance du Martinisme. » Il n’est pas besoin de préciser que ce « Collège » n’a pas plus de valeur initiatique que tous les groupements « néo-martinistes » qui existent aujourd’hui. Sa prétendue filiation « russe » n’est autre que celle – fictive – de Papus, qui est revenue en France après avoir transité par la Russie (cf. S. Caillet & X. Cuvelier-Roy, op. cit., pp. 115-116). Dans une lettre du 28 février 1935, Guénon remarquait : « La “slavophilie” des occultistes, en effet, est encore une chose assez curieuse ; pour Papus, je crois que la chose s’explique surtout par les subventions qu’il recevait de la cour de Russie, et auxquelles l’influence de Saint-Yves n’était pas étrangère ; mais il se peut tout de même qu’il y ait eu encore autre chose que cela. » Il n’est pas impossible que Guénon fît ainsi allusion à une certaine tendance au mysticisme. Quoi qu’il en soit, on rappellera qu’« une organisation initiatique ne saurait être le produit d’une fantaisie individuelle ; elle ne peut être fondée, à la façon d’une association profane, sur l’initiative de quelques personnes qui décident de se réunir en adoptant des formes quelconques ; et, même si ces formes ne sont pas inventées de toutes pièces, mais empruntées à des rites réellement traditionnels dont les fondateurs auraient eu quelque connaissance par “érudition”, elles n’en seront pas plus valables pour cela, car, à défaut de filiation régulière, la transmission de l’influence spirituelle est impossible et inexistante, si bien que, en pareil cas, on n’a affaire qu’à une vulgaire contrefaçon de l’initiation. » (Cf. Aperçus sur l’Initiation, ch. V, VII et VIII)
35. Cf. Lyon, ms. 5471, p. 10, cf. A. Joly, op. cit., p. 28..
36. Contrairement à ce qu’il soutenait dans son livre contre Guénon, M. Vivenza se range désormais sur son site à son avis, repris en son temps par Denys Roman, avis selon lequel « l’Ordre qui encadrait et protégeait ces pratiques [celles des Élus Coëns], ayant évidemment disparu de la scène de l’Histoire en 1781 lorsque le dernier successeur de Martinès, Sébastien Las Casas, décida de la fermeture des derniers Temples encore en activité et de la fin de l’Ordre. »
37. Compte rendu du livre d’Alice Joly, Un Mystique lyonnais et les secrets de la Franc-Maçonnerie : Jean-Baptiste Willermoz (1730-1824), É. T., juin 1939.
38. Compte rendu du livre de G. Van Rijnberk, Épisodes de la vie ésotérique [1780-1824], É. T., avril-mai 1950.
39. Lyon, ms 5471, p. 33, cf. A. Joly, op. cit., p. 42.
40. Nouv. Notice, p. XLII, cf. A. Joly, op. cit., p. 57.
41. Il s’agissait d’une hiérarchie de neuf grades divisés en trois degrés, le premier était celui des grades bleus ; le deuxième correspondant à une période de probation était celui d’Écossais rouge et de Chevalier de l’Aigle Rose-Croix, tandis que le troisième degré comptait les grades d’Écossais vert, de Novice, d’Écuyer et Chevalier (de l’Ordre du Temple). Cf. A. Joly, op. cit., p. 66. Voir aussi, bien que son point de vue soit sociologique, Loïc Montanella, La naissance de la Province d’Auvergne du Régime Rectifié d’après la correspondance de Jean-Baptiste Willermoz (1772-1775), Aubagne, 2016. Sans aucunement cautionner le point de vue purement sociopsychologique, c’est-à-dire profane, que M. André Kervella applique à l’historiographie maçonnique, nous le rejoignons entièrement quand il écrit que « regarder le baron de Hund comme un individu au comportement quasi pathologique, habité par une mythomanie exacerbée, est une injure faite à sa mémoire » (« Un haut-grade templier dans les milieux jacobites en 1750 : l’Ordre Sublime des Chevaliers Élus aux sources de la Stricte Observance », Renaissance Traditionnelle, n° 112, octobre 1997 ; La Maçonnerie Écossaise dans la France de l’Ancien Régime, Monaco, 1999 ; Le Baron de Hund et la Stricte Observance Templière, Paris, 2016). C’est pourtant cette version injurieuse qu’a voulu propager R. Amadou, notamment dans le Dictionnaire de la Franc-Maçonnerie paru sous la direction de Daniel Ligou (Paris, 2004).
42. Ceux qui rejetaient les « Supérieurs Inconnus » ignoraient évidemment “de quoi” il s’agissait en réalité, et quel pouvait être le mode d’action des véritables « Supérieurs Inconnus » ; « quant au fait que ceux-ci n’étaient pas connus des chefs mêmes de la Maçonnerie, tout ce qu’il prouve, c’est que le rattachement effectif à la vraie hiérarchie initiatique n’existait plus, et le refus de reconnaître ces Supérieurs devait faire disparaître la dernière chance qui pouvait encore subsister de le rétablir. » (« Un projet de Joseph de Maistre pour l’union des peuples », Vers l’Unité, mars 1927)
43. Guénon a rappelé que le Régime Rectifié n’est nullement de la « Maçonnerie Templière », comme le prétendait Rijnberk, « puisque, tout au contraire, un des points principaux de la “rectification” [de Willermoz] consistait précisément dans la répudiation de l’origine templière de la Maçonnerie. » (Cf. son compte rendu du second volume d’Un Thaumaturge au XVIIIe siècle : Martines de Pasqually, sa vie, son œuvre, son Ordre par le Dr Gérard Van Rijnberk, É. T., juin 1939) La destruction de l’Ordre du Temple marque la date de « la rupture de l’Occident avec sa propre tradition initiatique, rupture qui est véritablement la première cause de toute la déviation intellectuelle du monde moderne. » (« Un projet de Joseph de Maistre pour l’union des peuples », Vers l’Unité, mars 1927) À propos de Maistre, rappelons ce qu’en disait Denys Roman : « Il n’est pas question de discuter l’exceptionnelle “ouverture d’esprit” de ce grand homme. Mais le Maçon J. de Maistre qui ne croyait ni à l’héritage templier, ni aux Supérieurs Inconnus, lui qui pensait que la Maçonnerie doit être la servante d’une confession religieuse, et qui, dans son œuvre capitale Les Soirées de Saint-Pétersbourg, a parlé de l’Ordre dans les termes les plus défavorables –, J. de Maistre est pour nous le type même du Maçon tiède et incompréhensif. » (« À propos d’un article du “Symbolisme” », Études Traditionnelles, n°s 396-397, p. 183, n. 2, juillet-août & septembre-octobre 1966)
44. Réflexions d’un chrétien sur la Franc-Maçonnerie, ch. XV, Paris, 1995.
45. M. Vivenza trouve peu aimable et guère charitable le qualificatif de « crisiaque » donné aux somnambules « par quelques auteurs parfois eux-mêmes membres du R.E.R. » (p. 117). Ceci indique seulement que certains membres de cet Ordre sont moins illusionnés que lui, et qu’il ignore que dans la langue française le terme « crisiaque » désigne ce qui est relatif à « l’état de crise dite magnétique. » Ce qui était le cas. C’est au comte Maxime de Puységur, en 1785, que l’on doit la désignation de « somnambules » pour ces cas (cf. Éloïze Mozzani, Magie et superstitions. De la fin de l’Ancien Régime à la Restauration, p. 28, Paris, 1988 ; Émile Dermenghem, Les Sommeils, Paris, 1926). Ce dernier livre contient la publication du manuscrit des Sommeils, procès-verbaux minutieux par Willermoz des séances de « crisiaques ». C’est d’ailleurs le terme employé dans le titre du manuscrit de Saint-Martin : Crises somnambuliques. Livre des Initiés. Recueil fait sous plusieurs crisiaques depuis 1785 jusqu’en 1787. Il s’agit des « notes prises lors des séances magnétiques du chevalier de Barberin, ainsi que la copie d’une partie des écritures de l’Agent inconnu. » (Christine Bergé, « Le corps et la plume. Écritures mystiques de l’Agent inconnu », Revue d’histoire du XIXe siècle, pp. 41-59, n° 38, 2009 ; Françoise Haudidier, « Portraits de chanoinesses », Renaissance Traditionnelle, n° 48, octobre 1981) Dès 1930, Guénon avait exactement compris de quoi il s’agissait, comme le montre son compte rendu du livre de Vulliaud sur Les Rose-Croix lyonnais au XVIIIe siècle.
46. Christine Bergé, « Identification d’une femme. Les écritures de l’Agent inconnu et la franc-maçonnerie ésotérique au XVIIIe siècle », L’Homme, pp. 105-129, tome 37, n° 144, 1997. De 1785 à 1788, Mme de Vallière envoya 162 messages à Willermoz, dont seulement 45 furent sélectionnés pour instruire les Frères.
47. « Les attentats de tubalcoïm, en livrant la [femme] aux plus honteuses prévarications en voie charnelle, osèrent être la mort des pasteurs » (« Doctrine de l’air principe ou magnétisme pour la S. afin qu’elle l’exerce dans sa pureté et par la puissance des esprits purs », Ms. 5477, dixième cahier). À la lecture du texte original des messages de Marie-Louise de Vallière, et il y a de nombreux passages dans ce style et avec cette orientation à propos de « Tubalcaïn », d’après ceux que nous avons pu lire, on se représente facilement pourquoi Willermoz s’empressa de faire disparaître le nom de « Tubalcaïn ». Au regard de leur côté grotesque, on comprend tout de suite qu’ils ne pouvaient avoir aucun caractère « providentiel », comme certains ont voulu l’imaginer. Ce que l’époque, à la veille de la Révolution, et en considération de la nature des « influences » répandues alors en France, ne permet guère d’envisager, bien au contraire. (Notons au passage qu’il ne fut pas à l’honneur de Louis-Claude de Saint-Martin d’avoir monté la garde, en 1794, devant le Temple où était détenu le fils de Louis XVI.)
En outre, ainsi que l’a fait remarquer finement Mme Bergé, la comtesse de Vallière était amoureuse de Willermoz. Il nous paraît certain que ses messages avaient parfois un double sens, auquel lui et ses amis devaient être bien loin de penser (cf. art. cit., 2009). Les sentiments de Willermoz étaient d’autant moins réciproques que sa foi faiblissait. Un an après les premières communications, il ne transmettait plus les messages à ses amis, et trois ans plus tard, le 10 octobre 1788, il dévoila finalement l’identité secrète de l’« Agent Inconnu » à ses Frères contre la volonté expresse de celle-ci, et leur fit part de ses doutes sur le caractère « miraculeux » des messages. Un an plus tard, la Révolution éclata et les circonstances n’offrirent pas à Willermoz la possibilité de réparer les altérations de 1785.
48. Cf. Proclus, Commentaire sur la République, éd. Kroll, trad. A.-J. Festugière, Paris, 1970. Pour Proclus, la symbolisation du divin par ce qui lui est le plus opposé avait la faveur des dieux. Dans ce qu’il appelle l’herméneutique de l’obliquité, que l’on retrouve également chez saint Denys l’Aréopagite, M. Jean-Louis Chrétien remarque qu’il y a un symbolisme dissemblable où le contraire indique le contraire, où « le sens se déploie au-delà de la lettre, voire contre elle » : « Le trouble et le scandale que provoque la présence de récits immoraux ou d’images inadéquates dans des écritures pourvues de l’autorité la plus haute suscitent à la fois une question et une tâche. Elles ont été prises au sérieux, et cette herméneutique, contrairement à une opinion aussi répandue que hâtive, a choisi la lectio difficilior. Une interprétation lénifiante consisterait en effet à voiler le scandale en le niant ou l’omettant. L’herméneutique de l’obliquité part de lui, et en souligne l’acuité. C’est tout autre chose que de nier le scandaleux et que d’en faire, en tant que tel, un moment du sens. Ce qui semblait ne rien révéler du divin apparaît comme le lieu de la révélation la plus profonde, non par la dissipation du trouble, mais par sa traversée jusqu’à un bouleversement plus fort. Le privilège reconnu à ces récits et à ces images qui déconcertent est précisément qu’ils déconcertent. » (Lueur du secret, p. 139, Paris, 1985) Il notait encore : « Cette herméneutique néoplatonicienne voyait dans les symboles les plus contraires au divin la manifestation la plus profonde de celui-ci » (p. 191). C’est ainsi que chez les Anciens, la théomachie symbolise, sans l’imiter, l’union parfaite, dans la distinction, des causes primordiales. Citant les Sermons de Maître Eckhart, il ajoute que ce symbolisme de la dissemblance a son principe dans le fait que Dieu est dissemblable de tout : « L’obliquité est alors inamissible : si Dieu se donne à partir du déchirement des opposés, c’est qu’il est unité et ne peut être atteint que dans l’union. » (p. 181)
C’est ce principe de l’analogie inverse, ainsi que le désigne plus exactement Guénon, qui explique que la hauteur divine se révèle par l’abaissement, sa force par la faiblesse, sa gloire par la honte, sa richesse par la pauvreté, etc. Ainsi que l’a montré un collaborateur de la revue, c’est ce principe de l’analogie inverse qui est à la base du rite des Pañcha-Makâras dans le Tantrisme. (Cf. Marc Brion, « Le secret des Cinq Makâras », Cahiers de l’Unité, n° 3, 2016) Les moyens en apparence les plus inférieurs sont utilisés pour atteindre le point le plus haut. À ce propos, on se souviendra que la considération du « retournement » est particulièrement importante au point de vue de la réalisation initiatique.
49. « Signification de la métallurgie », Le Règne de la Quantité, ch. XXII. Guénon a fait remarquer que l’interdiction traditionnelle générale de l’emploi du fer, plus particulièrement que les autres métaux, est précisément lié au fait que le rôle de celui-ci est le plus important à l’époque moderne. Selon Plutarque, il était désigné comme l’« os de Typhon » par les Égyptiens.
50. Cf. Aperçus sur l’Initiation, ch. XXXIII & XLII. Arturo Reghini a relevé sa mention dans L’Ordre des Franc-Maçons trahi (Genève, 1742) (cf. « Un traité alchimique italien imprimé sur plomb », Ur, 1927, in Tous les écrits de Ur & Krur, traduit par Philippe Baillet et Yvonne Tortat, p. 65, Milan, 1986).
51. Le Règne de la Quantité, ch. XXI. Le symbolisme de Caïn et Abel correspond à des principes cosmiques : le principe de compression, représenté par le temps ; et le principe d’expansion, par l’espace. Rappelons que dans l’Hindouisme, ainsi que cela a déjà été signalé, le temps (kâla) et l’espace (dish) correspondent à Shiva et Vishnu (cf. M. Brion, art. cit., n. 51). « D’une façon générale, les œuvres des peuples sédentaires sont, pourrait-on dire, des œuvres du temps : fixés dans l’espace à un domaine strictement délimité, ils développent leur activité dans une continuité temporelle qui leur apparaît comme indéfinie. Par contre, les peuples nomades et pasteurs n’édifient rien de durable, et ne travaillent pas en vue d’un avenir qui leur échappe ; mais ils ont devant eux l’espace, qui ne leur oppose aucune limitation, mais leur ouvre au contraire constamment de nouvelles possibilités. [...] À vrai dire, l’un et l’autre de ces deux principes se manifestent à la fois dans le temps et dans l’espace, comme en toutes choses, et il est nécessaire d’en faire la remarque pour éviter des identifications ou des assimilations trop “simplifiées”, ainsi que pour résoudre parfois certaines oppositions apparentes ; mais il n’en est pas moins certain que l’action du premier prédomine dans la condition temporelle, et celle du second dans la condition spatiale. Or le temps use l’espace, si l’on peut dire, affirmant ainsi son rôle de “dévorateur” ; et de même, au cours des âges, les sédentaires absorbent peu à peu les nomades : c’est là, comme nous l’indiquions plus haut, un sens social et historique du meurtre d’Abel par Caïn. » À cette exégèse incomparable de l’histoire de Caïn et Abel, M. Vivenza préfère la seule compréhension strictement littérale, comme s’il n’y avait pas un sens plus profond à la Bible...
Dr Gérard Encausse (Papus)
(1865-1916)
Duc Ferdinand de Brunswick
(1721-1792)
Georges Lagrèze
(1882-1948)
Eugène Vintras, alias Élie-Stratanaël (1807-1875)
Robert Amadou, alias Ignifer
(1924-2006)
Abbé Joseph-Antoine Boullan
(1824-1893)
Jean Bricaud, alias Jean II (1881-1934)
Jean Tourniac
(1919-1995)
Un Juif d’Alger en 1890
Raziel ha-Malakh
(Pour l’édition princeps : Amsterdam, 1710)
Armes des Hund
Gravure cryptée représentant le comte Franz Joseph von Thun (1734-1801) de la Stricte Observance.
Joseph de Maistre
(1753-1821)
52. Cf. les Manuscrits Cooke (1410), Watson (1535), Grand Lodge n° 1 (1583), d’York n° 1 (1600), Sloane n° 3848 (1646) et Dumfries n° 4 (1710) (cf. Guy Chassagnard, Les Anciens Devoirs des Francs-Maçons, Saint-Malo, 2014). Guénon a évoqué les héritages antédiluviens de la Maçonnerie : « Il y a dans tout cela quelque chose qui non seulement se rapporte évidemment à un symbolisme vraiment universel (comme celui dont parlait Mircea Eliade dans son article sur le Chamanisme dont j’ai rendu compte dans le n° de juillet-août des “E. T.”), mais qui aussi, et par là même, touche plus particulièrement à ce qu’on pourrait appeler les origines (ou les attaches si vous préférez) “préhistoriques” de la Maç∴ Seulement, on ne peut guère parler de ces choses à la généralité des Maçons actuels, qui, surtout s’ils sont toujours aussi influencés par les théories ethnologiques et sociologiques courantes telles que beaucoup l’étaient de mon temps, s’imagineraient probablement que, en faisant de tels rapprochements, on veut tout simplement les assimiler à des “sorciers” ! » (Lettre du 14 septembre 1950). Selon les Old Charges, c’est du son des marteaux de Tubalcaïn que naquirent « la Géométrie et la Maçonnerie ». Bien entendu, la mention de ce martellement se rapporte à la « science du rythme », science qui se rattache immédiatement à celle du nombre, et dont le fond de tous les arts dépend directement. Dans l’architecture, le rythme s’exprime directement par les proportions existant entre les diverses parties de l’ensemble, et aussi par des formes géométriques, qui ne sont en définitive que la traduction spatiale des nombres et de leurs rapports (cf. « Les arts et leur conception traditionnelle », Le Voile d’Isis, avril 1935). Cette « science du rythme », qui comporte de multiples applications, est celle du rite des formules rythmées qui fut la méthode initiatique secrète de la Maçonnerie, « formules dont la répétition a pour but de produire une harmonisation des divers éléments de l’être, et de déterminer des vibrations susceptibles, par leur répercussion à travers la série des états, en hiérarchie indéfinie, d’ouvrir une communication avec les états supérieurs, ce qui est d’ailleurs, d’une façon générale, la raison d’être essentielle et primordiale de tous les rites. » (« La Langue des oiseaux », Le Voile d’Isis, novembre 1931) Les batteries maçonniques se rattachent à cette science du rythme (cf. The Three Distinct Knocks, Londres, 1760).
53. – Au passage de l’Anti-Chambre qu’y avez-vous remarqué ?
– J’y ai vu deux grandes Colonnes.
Cf. Samuel Prichard, L’origine & la déclaration mystérieuse des Francs-Maçons (Masonry Dissected, 1730), réédition de la traduction française de 1743, Braine-le-Comte, 1976. Au Rite Rectifié de Willermoz, les Colonnes ont disparu pour devenir des chandeliers (cf. Guy Verval, La spécificité du Rite Écossais Rectifié, Nivelles, 1987).
54. Cf. Cyrille Gayat, « Présentation » à l’Histoire de l’antique cité d’Autun, d’Edmé Thomas, p. xxii, Milan, 1992.
55. Cf. Jean Reyor, « Salomon, Grand Maître de la Maçonnerie » (1950), Pour un aboutissement de l’œuvre de René Guénon, Milan, 1988.
56. Denys Roman, op. cit.
57. Compte rendu du livre précité d’Alice Joly, É. T., Juin 1939.
58. Sous le titre « Le Régime Écossais Rectifié de 1776 à 1815 », un recueil, commenté et annoté, d’extraits des Acta Latomorum, paru dans La France Antimaçonnique du 14 août 1913 au 26 février 1914, « Le Sphinx » (R. Guénon), citant Thory, écrivait : « En 1790, “Saint-Martin, tout entier à ses études de mystique, avait résolu de se détacher définitivement du Régime Rectifié, dans lequel il ne figurait plus que par amitié pour Willermoz”, et avait envoyé à celui-ci sa démission de l’Ordre Intérieur. »
59. Cf. Aperçus sur l’Initiation, ch. I.
60. Ibid., ch. XXXII. Dans une lettre du 7 mai 1921, il disait déjà que « si la préparation théorique est une condition indispensable pour la réalisation métaphysique, il n’en est pas de même pour la réalisation mystique, pour laquelle elle n’est pourtant pas inutile. Mais je ne vois rien d’étonnant à ce que les idées reçues directement par les mystiques soient identiques à celles qu’exprime la Tradition, dès lors que ces idées sont vraies, et que la vérité est une et existe indépendamment de l’esprit qui la conçoit. Tout cela s’explique parfaitement, soit par l’intuition intellectuelle, soit même, dans certaines limites, par cette extension des facultés individuelles dont je parlais tout à l’heure ; il existe, dans ce dernier ordre, une “clairvoyance” véritable, naturellement bien différente de celle des théosophistes et des occultistes (laquelle est surtout de l’autosuggestion), mais qu’il est nécessaire de distinguer de l’intuition intellectuelle pure. »
61. Ibid., ch. XXIV.
62. Dans une lettre du 19 décembre 1918, il répondait sur ce point à Noële Maurice-Denis : « Vous regardez l’élément sentimental comme purement accessoire chez les mystiques ; je pense au contraire que sa présence constitue un caractère essentiel du mode mystique de réalisation. Je ne veux pas dire qu’il en soit la fin, loin de là ; seulement, il est un moyen propre à ce mode, et qui le distingue précisément des autres, en même temps qu’il explique en partie ce que la réalisation mystique a d’incomplet. Dire qu’elle est incomplète, du reste, ce n’est pas du tout dire qu’elle soit négligeable ou méprisable, loin de là ; et c’est même fort heureux si vraiment, comme vous me l’assurez, la mystique n’est point en déclin de nos jours, car sans cela il ne resterait plus en Occident la moindre trace de réalisation d’aucune sorte. Je commence par vous dire tout cela afin que vous ne puissiez pas vous méprendre sur mes intentions. » (C’est nous qui soulignons)
63. Aperçus sur l’Initiation, ch. II, n. 1. Jacob Bœhme est lui aussi un cas un peu particulier, et exceptionnel, du fait qu’il reçut effectivement une initiation, lors de sa rencontre avec « un personnage mystérieux », mais celui-ci « ne reparut plus par la suite. » (R. Guénon, « À propos du rattachement initiatique », É. T., janvier-février-mars, 1947 ; Jean Reyor, « Jacob Bœhme initié », Le Voile d’Isis, octobre 1934, repris dans Études et recherches traditionnelles, Paris, 1991) Ce qui signifie qu’il ne bénéficia pas, dans l’accomplissement de sa vie spirituelle, d’une guidance ou au moins de l’encadrement d’une organisation initiatique, ni même celui d’un environnement traditionnel favorable. Dans son excellent article, Reyor le rattache à l’hermétisme chrétien tout en relevant « que Bœhme n’a jamais pu parvenir à s’exprimer très intelligiblement. »
64. Ibid., ch. IV.
65. Ibid., ch. XLI. Voir aussi, « Connais-toi toi-même », article publié en arabe en 1931 et en français dans les Études Traditionnelles en mars 1951 ; P. Brecq, « Un professeur de Philosophie », Science sacrée, pp. 408-419, 2003 ; Pierre Courcelle, « Connais-toi toi-même », de Socrate à saint Bernard, Paris, 1975.
66. Lettre du 3 janvier 1918 à Noële Maurice-Denis.
67. Cf. La correspondance inédite de L. C. de Saint-Martin et Kirchberger, baron de Liebistorf, (de 1792 à 1797), publiée par L. Schauer et A. Chuquet, Paris, 1862. Saint-Martin y compare notamment la prédicatrice Antoinette Bourignon à Jacob Bœhme, puis à Mme Guyon, tandis que Kirchberger lui parle de Pierre Poiret (cf. Marjolaine Chevalier, Pierre Poiret (1646-1719). Du protestantisme à la mystique, Genève, 1994).
68. Dans le langage théologique du XVe siècle, la Devotio signifie « service de Dieu », mais « qui relève de l’expérience subjective et du mouvement du cœur enflammé d’affection. Ainsi la valeur d’une pratique est mesurée selon son aptitude à exciter la ferveur. Le souci majeur de la Devotio Moderna est l’intériorité. Moderna s’entend au sens de nouveauté de son idéal de vie. [...] Solidaire d’une culture du chiffre, la Devotio Moderna cherche à nourrir dans le silence et la solitude l’oraison privée par des petites pratiques systématiques ou exercices, et fait appel ainsi aux nombres et s’appuie sur un réseau d’association d’idées et de formules commodes pour mieux utiliser ces exercices. [...] En résumé, la Devotio Moderna serait une piété fervente, ardemment amoureuse à caractère mystique, pratiquant un ascétisme pratique et zélé, attentive et appliquée à organiser sa vie intérieure. » (Jean-François Drèze, Raison d’État, raison de Dieu. Politique et mystique chez Jeanne de France, p. 173, Paris, 1991) La Devotio Moderna fut elle-même issue de ce qu’on peut appeler l’École initiatique rhénane, mais il est incontestable qu’elle perdit la filiation initiatique qu’elle avait à ses débuts lorsqu’elle se propagea à l’extérieur, notamment à la suite de l’invention de l’imprimerie.
69. « Y a-t-il encore des possibilités initiatiques dans les formes traditionnelles occidentales ? », 1935, publié dans les É. T., janvier-février, 1973.
70. Aperçus sur l’Initiation, ch. XV.
71. « Les dépositaires de la connaissance initiatique ne peuvent la communiquer d’une façon plus ou moins comparable à celle dont un professeur, dans l’enseignement profane, communique à ses élèves des formules livresques qu’ils n’auront qu’à emmagasiner dans leur mémoire ; il s’agit ici de quelque chose qui, dans son essence même, est proprement “incommunicable”, puisque ce sont des états à réaliser intérieurement. Ce qui peut s’enseigner, ce sont seulement des méthodes préparatoires à l’obtention de ces états ; ce qui peut être fourni du dehors à cet égard, c’est en somme une aide, un appui qui facilite grandement le travail à accomplir, et aussi un contrôle qui écarte les obstacles et les dangers qui peuvent se présenter ; tout cela est fort loin d’être négligeable, et celui qui en serait privé risquerait fort d’aboutir à un échec. » (C’est nous qui soulignons) (ibid., ch. IV).
72. Ibid., ch. IV. Guénon indique en note « que les connaissances d’ordre doctrinal, qui sont indispensables à l’initié, et dont la compréhension théorique est pour lui une condition préalable de toute “réalisation”, peuvent faire entièrement défaut au mystique ; de là vient souvent, chez celui-ci, outre la possibilité d’erreurs et de confusions multiples, une étrange incapacité de s’exprimer intelligiblement. Il doit être bien entendu, d’ailleurs, que les connaissances dont il s’agit n’ont absolument rien à voir avec tout ce qui n’est qu’instruction extérieure ou “savoir” profane, qui est ici de nulle valeur, ainsi que nous l’expliquerons encore par la suite, et qui même, étant donné ce qu’est l’éducation moderne, serait plutôt un obstacle qu’une aide en bien des cas ; un homme peut fort bien ne savoir ni lire ni écrire et atteindre néanmoins aux plus hauts degrés de l’initiation, et de tels cas ne sont pas extrêmement rares en Orient, tandis qu’il est des “savants” et même des “génies », suivant la façon de voir du monde profane, qui ne sont “initiables” à aucun degré. »
73. Ibid., ch. I.
74. Dans une lettre du 24 avril 1948, Guénon écrivait à propos de Saint-Martin : « Parmi ses livres, je trouve que c’est encore le “Tableau Naturel” qui est le plus lisible ; le reste est non seulement obscur comme vous le dites, mais aussi passablement ennuyeux, et j’avoue que je n’ai jamais pu lire “L’Homme de Désir” en entier ; sûrement, cela ne vaut pas la peine d’y perdre son temps. » Pour les esprits sincères, mais mal informés, ajoutons que le fait de se tourner aujourd’hui, au point de vue doctrinal, plus ou moins exclusivement vers les livres de Saint-Martin pour aborder une vie authentiquement spirituelle, alors que s’offre une œuvre de l’envergure de celle de René Guénon, représente une régression intellectuelle.
75. On sait que le Protestantisme « n’est qu’une déviation produite par l’esprit antitraditionnel des temps modernes, ce qui exclut qu’il ait jamais pu renfermer le moindre ésotérisme et servir de base à quelque initiation que ce soit. » (« Y a-t-il encore des possibilités initiatiques dans les formes traditionnelles occidentales ? », 1935, art. cit.) À propos de la présence d’initiés authentiques parmi les protestants depuis le XVIe siècle, Guénon se demandait si elle ne s’expliquerait pas « au moins dans une certaine mesure, par l’hostilité croissante des autorités catholiques à l’égard de tout ésotérisme ? Il faut d’ailleurs reconnaître que certains, comme Jacob Bœhme, ont été aussi en butte à bien des persécutions dans leur propre Église. » (Lettre du 11 novembre 1949)
76. Cf. « Phaleg », 8 novembre 2013, en ligne. Dans ce texte, M. Vivenza se garde bien de mentionner l’histoire exacte à l’origine de la suppression du nom sacré « Tubalcaïn ». Pour employer son langage : il évacue discrètement et rapidement le problème. Que le nom de « Phaleg » soit respectable et possède un symbolisme propre n’est contesté par personne : ce n’est évidemment pas le seul dans la Bible, et ce n’est pas en tant que tel qu’il est mis en cause. Il n’est d’ailleurs pas étranger aux systèmes des hauts grades, et c’est ce qui explique que l’on puisse rattacher son symbolisme à la Maçonnerie : c’est le « mot de passe » des Noachides ou « Chevaliers prussiens ». Ce qui évidemment ne légitime en rien la suppression de « Tubalcaïn ».
77. Voici ce qu’écrivait Guénon, dans une lettre du 11 novembre 1934 : La L∴[oge] “Le Centre des Amis” est la 1re L∴[oge] du Régime Rectifié qui avait été fondée par le F∴ de Ribaucourt sous l’Ob∴[édience] du G∴[rand] O∴[rient] ; elle avait alors ses ten∴[ues] rue Froidevaux. Cela a marché tant que Blatin a vécu ; mais ensuite Bouley n’a pas voulu admettre qu’il continue à y avoir au G∴[rand] O∴[rient} une L∴[oge] invoquant le G∴[rand] A∴[rchitecte], prétendant que ce n’avait pu être là qu’une “tolérance provisoire” ; c’est ce qui a amené la scission et la fondation de la G∴[rande] L∴[oge] Nat∴[ionale], laquelle s’est développée surtout du fait de la fondation des LL∴ anglaises pendant la guerre. »
René Humery, ingénieur des Mines, « avait été initié le 26 mai 1910, passé Compagnon le 3 février 1911 et élevé à la Maîtrise le 8 juin 1911 par la Loge “La Libre Pensée”, Grand Orient de France. Affilié ultérieurement à “L’Effort” et à “L’Union des Peuples” en 1925, il participa également, en 1920, à la fondation de la Loge “Agni” dont il fut élu Premier Surveillant. Coopté ensuite 18e au sein du Chapitre “L’Effort” en 1923, il fut reçu 30e, en 1926, au Conseil Philosophique éponyme, puis promu 31e. Conférencier émérite, il présenta, en outre, de nombreux travaux dans des Loges symboliques et des Ateliers supérieurs du Grand Collège des Rites : À la gloire de Satan et La légende de Satan en 1925, L’agonie du Christianisme en 1926, L’histoire des religions dans les lycées et L’enseignement de l’histoire des religions en 1927, L’Allemagne telle que je l’ai vue présentée devant la Loge Espérance 789 du Droit Humain le 6 février 1934.
Régularisé le 24 juin 1935, Premier Surveillant en 1936-1937, il fut élu Vénérable Maître, par 16 voix contre 1 bulletin blanc, lors de la Tenue du 8 avril 1938. » (Cf. Francis Delon, « Être Franc-Maçon Rectifié dans l’entre-deux-guerres : Le “Centre des Amis” n° 1 (1917-1940) », Cahiers Villard de Honnecourt, n° 95, 2015. René Humery sera le premier, à la fin de 1932, à proposer à Guénon la constitution d’une Loge strictement initiatique.
78. Édouard de Ribaucourt (1865-1936) et Gustave Bastard furent reçus Chevaliers Bienfaisants de la Cité Sainte au Grand Prieuré Indépendant d’Helvétie (Rite Écossais Rectifié) le 9 juin 1910. L’accord entre la Loge « le Centre des Amis » et A. Blatin fut rompu par la mentalité antitraditionnelle et l’intransigeance de Gaston Bouley. L’invocation au Grand Architecte de l’Univers fut supprimée d’autorité. « Le Centre des Amis » quittera immédiatement le Grand Orient, mais Camille Savoire ne les suivra pas. Ribaucourt fonde alors, en septembre 1913, la Grande Loge Nationale Française sous le nom de « Grande Loge Nationale Indépendante et Régulière pour la France et les Colonies Françaises ». Dans sa délibération de 1913, le « Centre des Amis » déclarait : « Considérant : Que le G. O. de France a supprimé en 1913 de ses Rituels Rectifiés de 1778, les Invocations d’ouverture et de fermeture ainsi que l’admirable Symbole du Grand Architecte de l’Univers qui lui avaient été garantis par le Grand Orient lors du réveil du Rite au G. O. (1910).
Que le Grand Orateur du Convent de septembre 1913 a déclaré que le Symbole du Grand Architecte de l’Univers était contraire à l’art. 1 de la Constitution et que cette prétention blesse la Foi maçonnique des membres de la R. L. Le Centre des Amis.
Que le Convent de 1913 a refusé de donner suite aux réclamations de la Resp[ectable] Loge le Centre des Amis, qui demandait qu'on lui laisse ses anciens Rituels justes et parfaits, ainsi que ses ouvertures, fermetures à l'invocation du G. A. D. l’U. Que le Convent a voté à la presque unanimité l’ordre du jour, marquant ainsi son “oubli” des engagements pris vis-à-vis de la Resp. Loge le Centre des Amis.
Cette Loge a décidé à l’unanimité : De quitter régulièrement le Grand Orient de France, de déléguer ses pouvoirs à la nouvelle obédience régulière connue sous le nom de Grande Loge Nationale Indépendante et Régulière à charge pour elle de rétablir en France des Loges justes et parfaites aux 3 premiers degrés, Apprentis, Compagnons et Maîtres, dans l’axe de la Franc-Maçonnerie Universelle et reconnues comme telles par la Grande Loge d’Angleterre, notre Mère à tous. »
79. Ferdinand Buisson (1841-1932) est le cofondateur de la Ligue des droits de l’Homme. Figure historique du protestantisme libéral, député, il est aussi le rédacteur, en 1905, de la loi de séparation des Églises et de l’État. Le Dictionnaire de pédagogie et d'instruction primaire qu’il dirigea est considéré comme la « bible » de l’école laïque et républicaine.
80. Antoine Blatin (1841-1911) fut Grand Maître du Grand Orient en 1894 et 1895.
81. Gaston Bouley (1855-1920) remplaça Blatin au Grand Collège des Rites comme Grand Commandeur. Il représentait la tendance la plus antitraditionnelle du Grand Orient dont il fut le Grand Maître en 1910 et 1911. Voici ce que disait Ribaucourt au Convent de 1913 :
« Lorsqu’en 1910, nous avons quitté l’obédience de Genève, nous nous sommes constitués en Loge Régulière du G. O. de France, en nous conformant aux articles 239 et 242 du Règlement général qui nous permettait l'exercice de rites anciennement pratiqués en France. Il y eut des engagements préalables pris par les deux plus hautes autorités du G. O., je veux parler de notre distingué F. Bouley, alors président du Conseil de l’Ordre, et notre regretté F. Blatin, alors Grand Commandeur du Grand Collège des Rites.
En effet, au cours des pourparlers préliminaires, notre F. Bouley nous assura devant témoins, je veux parler de notre F. B… qu’on ne toucherait pas à notre rituel et que l’ouverture “À la Gl. du G. A. de l’U.” serait respectée. Notre F. Blatin examina longtemps notre rituel et nous pria de remplacer une prière préliminaire par un prélude non dogmatique ; nous acceptâmes, et ce fut lui-même, de sa main et d’un jet, qui écrivit le splendide prélude qui fait la raison d’être de notre rite en France ; je vous en donnerai lecture dans un instant.
Pour justifier l’emploi de la formule du “G. A. de l’U.” , il introduisit dans ce prélude une explication, très maçonnique qui ne pouvait laisser aucun doute de la signification non dogmatique de cette formule. »
82. Lebey devint Compagnon en octobre 1908 et Maître en février 1909 au Grand Orient de France. Une vente publique de quarante de ses diplômes personnels a eu lieu en 2011. Le catalogue cite ceux-ci : « Grand Élu Parfait et Sublime Maçon » (14e du R. E. A. A.), 1911 ; « Bref de Chevalier Rose-Croix » (18e), le 29 avril 1912 ; 33e le 15 septembre 1918 ; « Membre actif du Grand Collège des Rites » signé par Camille Savoire, daté du 27 mai 1919 ; « Garant d’Amitié de la Grande Loge Suisse Alpina auprès du Grand Orient de France », 1917 et 1922, etc. Il appartint aussi à la Grande Loge de France : à « La Jérusalem Écossaise » en 1910. Lebey collaborait comme critique de livres à la revue Comœdia ; on peut poser la question de savoir s’il a servi d’intermédiaire entre Guénon et Max Frantel (cf. Cahiers de l’Unité, n° 4, 2016). Voir aussi, Pierre Noël, « Heurs et malheurs du Rite Écossais Rectifié en France au XXe siècle », n° 10, Acta Macionica, 2000. M. Vivenza a publié une biographie de Camille Savoire, mais son incapacité à distinguer ce qui est initiatique de ce qui ne l’est pas, et sa mentalité anti-traditionnelle de plus en plus marquée, à laquelle s’ajoute une volonté de propagande, diminuent beaucoup l’intérêt de son travail. Quelques lettres inédites de René Guénon à André Lebey devraient être publiées dans un prochain numéro de la revue.
83. R. Guénon, « Un nouveau livre sur l’Ordre des Élus Coëns », Le Voile d’Isis, décembre 1929.
84. Paris, 1928. Comme Guénon l’a signalé, ce titre comporte un anachronisme, car le mot « occultiste » semble bien n’avoir jamais été employé avant Éliphas Lévi, « peut-être, ajoutait-il, aurait-il mieux valu trouver un autre terme, et ceci n’est pas une simple question de mots, car ce qui s’est appelé proprement “occultisme” est vraiment un produit du XIXe siècle. » (Ibid.)
85. Est-ce pour cela que MM. Roger Dachez et Jean-Marc Petillot mentionnent le pamphlet de M. Vivenza comme une « excellente mise au point » ? (cf. Le rite écossais rectifié, ch. X, Que sais-je ?, Paris, 2010).
Joseph de Maistre
(1753-1821)
Le manuscrit Cooke, 1410
(Matthieu Cooke l’a édité en 1861) (British Library)
Speculum humanae salvationis,
Autriche 1350-1400.
En haut, à gauche : Tubalcain inventor artis ferrarie. À droite : Jubal melodiae inventor
Les globes céleste et terrestre qui sont parfois placés sur les deux colonnes sont une innovation moderne, « non point en raison d’une prétendue ignorance que certains se plaisent à attribuer aux anciens, mais tout simplement parce que de tels globes ne figurent dans aucun symbolisme traditionnel. »
Antoine Blatin
Édouard de Ribaucourt
René Humery
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juillet-août-sept. 2024